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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

Jean de Jandun ne semble pas avoir été, du moins en Philosophie, un novateur audacieux et puissant ; ses exposés consciencieux, diffus, souvent embarrassés entre les solutions contraires, ne laissent guère deviner l’ardent polémiste qui rédigera, avec Marsile de Padoue, ce Defensor pacis où, deux cents ans avant Luther, se trouvent, si brutalement posées, les principales thèses de la Reforme. Et cependant, Jean de Jandun est un de ces personnages dont l’apparition marque un changement de direction en l’évolution du corps auquel ils appartiennent. De 1340 à 1385 environ, l’Université de Paris verra se développer, en son sein, une brillante École philosophique ; les représentants do cette Ecole s’appelleront eux-mêmes les Nominalistes (Nominales), tandis qu’à la Renaissance, les Humanistes Italiens les appelleront par dérision les Terminalistes (Terministæ). Ces Nominalistes Parisiens du xive siècle salueront Guillaume d’Ockam comme leur initiateur et leur chef ; ils lui donneront les titres de Venerabilis inceptor, d’Academiæ Nominalium princeps. Or, ce rôle d’initiateur, ils eussent pu, à fort juste titre, l’attribuer à Jean de Jandun en même temps qu’à Guillaume d’Ockam ; si celui-ci a grandement contribué à tracer aux Parisiens les méthodes qu’ils vont suivre en Physique et en Logique, celui-là a, en quelque sorte, arrêté d’une manière définitive la forme sous laquelle ils exposeront leur pensée.

Jean de Jandun est un « artiste ». En 1316, Jean de Jandun était maître des artistes au Collège de Navarre, lorsque Jean XXII le nomma chanoine de Senlis. Il parait avoir abandonné peu après renseignement et le séjour de Paris pour aller résider à Senlis où, en 1323, il composait son De laudibus Parisius. On ne voit pas qu’il ait jamais pris aucun grade en Théologie ni qu’il ait composé aucun écrit théologique. L’enseignement de Jean de Jandun signale, peut-on dire, l’entrée de la Faculté des Arts en l’histoire de la Philosophie et des Sciences. Jusqu’ici, aucun nom d’artiste, sauf celui de Siger de Brabant, n’avait brillé en cette longue lutte de la Scolastique latine contre la tyrannie de la pensée gréco-arabe. Dorénavant, les maîtres ès-arts occuperont les premiers rangs parmi ceux qui, sur les ruines de l’Aristotélisme, vont bâtir les assises de la Science moderne. En même temps que la raison, dégoûtée des spéculations de la- Métaphysique, trop hautes pour être bien assurées, va se consacrer aux recherches plus humbles, mais plus sûres, de la Logique et de la Physique, l’éclat de la Faculté parisienne de Théologie va pâlir et celui de la Faculté des Arts va resplendir.