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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

ligence croit, elle ne distingue pas les modes et les conditions nécessaires ; elle saisit d’une manière large et confuse ; lorsqu’au contraire l’intelligence comprend vraiment, elle conçoit d’une manière nécessaire et exempte de confusion. L’intelligence agit donc d’une manière instantanée lorsqu’elle croit, et dune manière successive lorsqu’elle comprend. Il est évident par là que l’intelligence, en croyant, s’élève plus qu’en comprenant, car lorsqu’elle croit, l’acte qu’elle accomplit surpasse sa propre nature… Lorsque, par la compréhension, l’intelligence a atteint un certain degré, la foi la prend en ce degré et, à l’aide de la croyance, la dispose à monter par la compréhension au degré suivant ; il en est ainsi jusqu’à ce que l’intelligence parvienne à son premier Objet ; alors elle se repose en comprenant, mais plus encore en croyant. La foi est donc le moyen par lequel l’intelligence acquiert le mérite et monte jusqu’au premier Objet ; c’est ce premier Objet qui, en l’intelligence, infuse la foi, afin que cette foi soit, pour l’intelligence, comme un pied à l’aide duquel elle montera. Par sa nature, l’intelligence possède déjà un autre pied, qui est la compréhension. Elle est comme un homme qui monte à l’cchelle à l’aide de ses deux pieds ; sur le premier échelon, elle pose d’abord le pied de la foi, puis, sur ce même échelon, le pied de la compréhension ; alors, sur le second échelon, elle pose, en premier lieu, le pied de la foi et, en second lieu, le pied de la compréhension ; elle monte ainsi, échelon par échelon, la foi prenant toujours les devants et la compréhension venant ensuite… Le but de l’intelligence n’est pas de croire ; c’est de comprendre ; mais la foi est l’instrument à l’aide duquel elle élève sa compréhension en élevant sa croyance. »

Le même homme qui, en 1295, disait avec tant de conviction : Intellige, ut credas, répète, en 1308, avec non moins d insistance ; Crede, ut intelligas. Par une voie bien différente assurément, il est arrivé au point que Guillaume d’Ockam atteindra bientôt ; il ne croit plus que la raison humaine puisse, par les seules ressources de sa nature, établir les vérités métaphysiques que 1 Eglise nous demande de croire fermement.

Lorsqu’Ockam demandait aux Parisiens de se méfier des lorces de la Philosophie, il trouvait un auditoire tout disposé à favorablement accueillir cet enseignement, car renseignement de Lull l’y avait préparé. L’influence du franciscain de Majorque semble, en effet, avoir été fort grande en cette Université de Paris où, maintes fois, il vint se reposer de ses lointains et périlleux voya-