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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

tienne peut, non seulement, être défendue contre tous ceux qui l’attaquent, mais encore être prouvée. En outre, toute autre religion peut être ruinée par raisons nécessaires… Il semble dur et périlleux aux infidèles d’abandonner leurs croyances pour embrasser d’autres croyances et une autre foi ; mais qui d’entre eux pourrait se défendre de quitter ce qui est faux et impossible pour ce qui est véritable et nécessaire ?… Nous avons dit quen ce traité, notre seule intention avait été de montrer que la foi chrétienne se peut prouver par raisons nécessaires. »

Combien ce langage, où respire une si superbe confiance en la force du raisonnement philosophique, diffère de celui que, quelques années plus tard, nous fait entendre l’Ars magna !

« La foi[1] dure par la durée que Dieu donne, tandis que la compréhension (intelligere) ne dure que par la science acquise, il résulte de là que la foi est en haut et que l’intelligence est en bas… La Cause première peut plus que la cause seconde, et lorsque le pouvoir de la cause seconde est soutenu par le pouvoir de la Cause première, alors la cause seconde a un pouvoir qui la surpasse elle-même. Voilà pourquoi, grâce à la Cause première, l’intelligence peut croire en cette Cause ; ce qu elle peut par elle-même, c’est de comprendre Dieu, mais à la condition que sa croyance vienne en aide à su compréhension ; selon ce que dit Ésaïe : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » Ainsi en serait-il d’un homme qui, tout d’abord, n’était point philosophe et qui, ensuite, devient philosophe ; qui, lorsqu’il n’était point philosophe, croyait en l’existence de Dieu, et qui, devenu philosophe, comprend que Dieu existe ; alors, l’intelligence de cet homme monte, par la compréhension, au degré où elle se trouvait déjà par la croyance. Je ne dis pas, cependant, que la foi soit pour cela détruite ; mais elle monte elle-même à un degré plus élevé… De meme que la volonté ne peut, sans la charité, aimer son objet suprême, de même l’intelligence ne peut, sans la foi, comprendre son objet suprême… La vérité est le principe commun de l’intelligence et de la foi ; mais, par la croyance, la foi se trouve plus haut placée en la vérité que l’intelligence ne l’est en comprenant ; et quand l’intelligence monte, en la vérité, à un degré plus élevé que celui où elle se trouvait, la foi, elle aussi, s’élève d’un degré en cette même vérité… Lorsque l’intel-

  1. Raymundi Lullii Ars magna ; IXa pars : De novem Bubjectis ; Cap. LXIII : De fide per principia deducta. Ed. cit., pp. 454-457.