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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

au pouvoir de l’Alchimie, la confiance que lui accordait Roger Bacon.

Les Alchimistes aimaient à mettre leurs grimoires sous le couvert de noms illustres ; celui d’Albert le Grand servit ainsi à autoriser bon nombre d’élucubrations ridicules ; de même, maint traité d’art hermétique se donne pour œuvre de Raymond Lull ; que cette attribution soit l’effet d’une supercherie[1], ce que nous venons de lire en l’Ars magna le rend presque certain.


G. Les rapports de la raison et de la foi.


En l’Ars magna, il arrive encore à Lull de disserter philosophiquement sur quelqu’un des articles du dogme catholique. C’est ainsi qu’il développe tout un discours[2] contre ceux qui, au ciel, attribuent l’éternité. Mais nous ne reconnaissons plus, en ce discours, l’audacieuse méthode déductive et a priori dont notre auteur usait, dix ans auparavant, en ses Articuli fidei c’est maintenant eu ordre inverse qu il raisonne ; il énumère tous les corollaires, contraires à la doctrine de l’Église, qui découleraient de l’éternité du ciel admise comme hypothèse, puis il conclut en ces termes : « Comme tout cela est mauvais et injuste, comme c’est contraire à la bonté et à Injustice de Dieu, il en résulte nécessairement que le ciel a été innové et créé. »

Ce changement de méthode n’est point l’effet du hasard ; il résulte du changement qui s’est produit, en l’esprit de Lull, et qui a renversé le rapport établi par cet auteur entre l’intelligence et la foi.

Lorsqu’il composait les Articuli fidei, il était absolument convaincu que l’intelligence peut, par scs propres forces, prouver la nécessité des dogmes que l’Eglise enseigne.

« Les articles de la foi chrétienne[3] ne sont pas seulement des propositions qui sont probables plutôt qu’improbables ; mais ils sont véritables et nécessaires ; nous le prouvons en plusieurs de nos livres. » « Nous avons écrit ce traité[4] dans l’intention de faire entendre aux Chrétiens dévots et fidèles... que la foi chrc-

1. C’est, en particulier, l’avis de Wadding (Lucæ Waddingi Scriptores Ordinis Minorufti, twvissiiiia ediiio, Roniæ, MCMVI, p. 202}, Voir aussi J. H. Probst, Op. laud., loc. cit.

2. Kaymundi Lullu /i rs mayrta ; pars cit., cap, XLII ; De Cælo per régulas deducto ; ed. cit , pp.

3. Raymundi Llllu Articuli fidei, Introductio ; éd, cit, p. 920.

4.Ratmundi Lullii Op. laud., Causa finalis hujus traciatus ; éd, cit pp. 965-966.

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