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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

un mouvement et une mixtion qui s’accomplissent suivant un cycle. »

La vertu élémentative (elementativa) dont Raymond Lull parle si volontiers n’est autre que ce mouvement cyclique qui mêle les cléments les uns avec les autres, et que l’appétit mutuel des éléments dont résulte cette perpétuelle circulation.

« Il y a quatre cléments, dit la vertu élémentaire[1], et chacun d’eux agit sur chacun des autres ; le feu agit sur l’air en l’échauffant ; l’air agit sur leau en la rendant humide ; l’eau agit sur la terre pour la refroidir ; la terre agit sur l’eau pour lui donner la sécheresse. De là naît un mouvement circulaire continuel ; et comme mon essence est faite des éléments, mon mouvement est, pour une part, naturellement circulaire, bien que ma nature ait son siège dans les éléments. »

La Chimie de Raymond Lull, en attribuant à chaque élément véritablement simple une seule qualité au lieu :1e deux qualités, s’écarte de la Chimie d’Aristote pour se rapprocher de la Chimie de l’Érigène. Mais l’Érigène réduisait chacun des éléments constitutifs à n’être qu’une simple qualité abstraite, sans aucun support matériel ; Aristote, au contraire, donnait à chaque élément non seulement une forme substantielle douée de qualités, mais une matière. C’est de l’enseignement du Stagirite que Raymond s’inspire en cette circonstance, car chacun de ses éléments a forme et matière :

« Je suis, dit l’élémentative[2], la vertu naturelle qui procède des formes substantielles et accidentelles des éléments. Je procède des formes substantielles, car je suis constituée au moyen des quatre formes des éléments ; je procède aussi des accidents, car je suis constituée au moyen de quatre qualités qui sont le chaud, le froid, l’humide et le sec. Et ce que j’ai dit des formes substantielles et accidentelles, je le répète des quatre matières des éléments. C’est par les formes des éléments que je suis active et par leurs matières que je suis passive, en sorte que je procède d’eux tout entière et que, tout entière, je demeure en eux. »

Les matières des divers éléments proviennent toutes d’une certaine matière première cjui leur est commune. De cette matière première d’où les éléments sont tous issus, il est question au passage suivant[3], qui semble bien reproduire la pensée de Lull,

  1. Raymundi Lullii Philosophiæ principia ; cap. V : De elementativa ; éd. cit., pp. 128-129.
  2. Raymond Lull, loc, cit. ; éd, cil., p. 127.
  3. Raymond Lullii Maioricani philosophi sui temporis doctissimi Libri ali-