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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

serait détruite ; partant, il en serait de même des mixtions particulières entre corps composés d’éléments, car de la destruction universelle résulte la destruction particulière.

» En effet, si, dans sa sphère, le feu n’était pas sec par lui-même et chaud par la terre [qui lui est mêlée], c’est par lui-même qu’il serait sec. Ainsi, l’air qui est humide par lui-même et chaud par le feu, serait chaud par lui-même. Ainsi encore, l’eau qui, en sa sphère, est froide par elle même et humide par l’air, serait humide par elle-même. Ainsi enfin, la terre qui, en sa sphère, est sèche par elle-même et froide par l’eau, serait froide par elle-même. D’une manière générale, donc, il y aurait deux qualités pour chacun des éléments ; il y aurait deux chaleurs, deux humidités, deux froids, deux sécheresses ; en d’autres termes, il y aurait deux essences ignées, deux essences aériennes, deux essences aqueuses, deux essences terrestres (duæ igneitates, duæ aeritates, duæ aqueilates, duæ terreitates)[1]. De même qu’il y aurait huit qualités, il y aurait huit éléments, ce qui est absurde…

» En outre, l’appétit naturel serait détruit, car il n’aurait plus d’objet : de même qu’un feu ne désire pas un autre feu, le feu ne désirerait plus la terre, puisqu’il serait sec de lui-même, et l’on en pourrait dire autant de chacun des éléments…

» Mais ici encore, l’intelligence est prise d’étonnement. Cette terre, qui est en bas, par quel moyen peut-elle monter jusqu’à la sphère du feu, alors qu’entre deux, il y a l’air, qui est contraire à la terre ? Comment le feu peut-il descendre ici-bas jusqu’à nous, alors que l’eau lui est contraire ?… C’est que le feu qui descend donne de la chaleur à l’air et ainsi, pour descendre, il s’accorde avec l’air ; de même, l’air, en donnant de l’humidité à l’eau, s’accorde avec elle en sa descente ; le feu descend ainsi jusqu’à l’eau par le moyen de l’humidité échauffée ; et l’eau, à son tour, descend jusqu’à 1a terre en lui donnant de son froid qui a été humidifié et réchauffé. La terre, à son tour, monte jusqu’au feu pour lui donner de sa sécheresse qui, [au cours de son ascension,] a été rafraîchie, humectée et échauffée. Et comme chacune des qualités ne quitte jamais [l’élément qui est] son sujet propre, en même temps que les qualités montent et descendent, les éléments, eux aussi, montent et descendent. De là résultent

  1. Nous trouvons ici une application de la règle posée dans la Kabbala au sujet de la dénomination des quiddités.