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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

pulluler dans les écrits des Scotistes ? Ne sont-elles pas identiques à ccs étranges « petites choses » qu’Ockam se verra contraint de pourchasser avec tant de rigueur ? Dans ce qu’on a nommé le Scotisme, ne convient-il pas de reconnaître une grande part de Lullisme ?


F. Les quatre éléments.


Nous avons sommairement indiqué ce que la pensée de Lull avait sûrement emprunté à la Philosophie d’Avicébron et, aussi, ce qu’il lui doit peut-être. L’ardent franciscain ne demandait-il pas, quelquefois, des inspirations à des auteurs plus anciens ? En particulier, n’avait-il pas lu Jean Scot Érigène et n’en avait-il pas reçu l’idée première de sa théorie des éléments ?

Il est certain que, pour Raymond, chaque élément simple possède une seule qualité ; que le feu est seulement chaud, l’air seulement humide, l’eau seulement froide, la terre seulement sèche. Si les grandes masses corporelles qui tombent sous les sens et auxquelles on a accoutumé de donner les mêmes noms se montrent à nous pourvues à la fois de deux qualités au moins, c’est qu’elles ne sont pas simples, mais composées de l’union de plusieurs éléments ; elles ne sont pas elementa, mais elementata.

Cette doctrine est formulée avec une netteté particulière en un passage de l’Ars magna[1].

« Si la vertu élémentative (elementativa) ne résidait pas en chaque corps composé par les éléments ('elementatum) comme en un sujet, les qualités, elles non plus, ne se trouveraient pas en ce composé ou bien elles s y trouveraient hors de tout sujet ; cela est impossible, comme on le voit clairement dans la flamme où existe la chaleur, et dans la glace, où réside le froid.

» L’intelligence, cependant, éprouve un doute : En la sphère du feu, trouve-t-on [l’humidité de l’air], le froid de l’eau et la sécheresse de la terre, alors que l’eau et la terre font partie des éléments inférieurs, alors que l’humidité [de l’air] contrarie la sécheresse de la terre et lui résiste, que la chaleur du feu contrarie le froid de l’eau ? Cet étonnement prend fin lorsque l’intelligence se souvient de ceci : Si tous les éléments ne se rencontraient pas ensemble en la sphère du feu, et aussi en la sphère de chacun des autres éléments, la mixtion générale des éléments

  1. Raymondi Lullii Ars magna ; IXa pars principalis : De novern Subjectîs ; cap. LIII. De elementativa per requiam deducta. Ed. cit., pp. 441-442.