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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

tion de la substance, acte en vertu duquel l’action d’une substance n’a point d’autre terme qu’une autre substance. »

Ces formes abstraites, en effet, il les affuble d’un nom qu’il forge suivant une règle fixe. « Remarquons brièvement que le mot abstrait qui correspond à un concret quelconque se forme au moyen du génitif du nom de ce concret, en y ajoutant la terminaison eitas ; ainsi umbrosum, umbrosi fait umbrosicitas. L’ombroséité, c’est l’acte et la perfection d’une chose ombreuse, acte en vertu duquel l’ombreux ne produit que l’ombreux. Le corps ombreux, c’est celui dont l’être est opaque ; il possède des termes corrélatifs et intrinsèques, qui sont l’agent ombrifique, le patient ombrifiable, et l’action d’ombriüer (umbrosificativum, umbrosificabile, umbrosificare). » Ce jargon se poursuit au cours de plusieurs pages.

Le principe d’individuation n’échappera pas à la règle ; quiddité ou forme abstraite de l’individu concret, il aura son nom en eitas : « L’individuéité ou individualité, c’est l’acte ou la perfection de l’individu, acte en vertu duquel l’action d’un individu n’a d’autre terme qu’un individu. » Individueitas n’est pas, après tout, plus barbare qu’hœcceitas.

D’ailleurs, ce terme d’hœccéité, Raymond Lull en use également, mais non dans le même sens que les Scotistes, « L’hœccéité, dit-il, c’cst l’acte et la perfection de cela (hoc), acte en vertu duquel cela (hoc) a cela {hoc} pour terme de sou action. Par cela (hoc), on entend, d’ailleurs, un cire dont l’existence montre quelque chose. Hœcceitas est actus hujus, ratione cujus hoc non agit nisi hoc. Est autem hoc, ens cujus esse aliquid demonstrat, et habet hœcceitativum, hœcceitabile et hœcceitare quæ sunt sua correlativa. » Si la parole a été donnée à l’homme pour manifester sa pensée, jamais, sans doute, il n’a plus complètement mésusé de ce don. Nous aurions peu do chances de deviner, derrière cette accumulation de barbarismes, ce que Raymond Lull entend par hœccéité, s’il ne lui arrivait un peu plus loin d écrire : « L’abstrait ou hœccéité qui correspond à une chose concrète… Abstractum cujuscunque concreti sive hœcceitas… » L’hœccéité d’une chose se confond donc, en son langage, avec ce qu’il nomme la forme abstraite ou quiddité de cette chose.

Toutes ces quiddités abstraites, ces temporéités, ces motivités, ces locéités, ces vacuéités, ces pléniéités, ces mathématicéités, ces puncticités, ces triànguléités, ces rectiviéités, ces circuléités, ces corporéités, que la Kabbala engendre à foison n’out-elles pas un lien de très intime parenté avec ces formalités qui se mirent à