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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Il est manifeste, dit Lull, que, pour découvrir d’une chose ce que c’est au fond (ipsum quod quid est), il est requis d’user d’abord de la connaissance analytique. Or dire d’une chose ce que c’est au fond (ipsum quod quid est), ce n’est rien faire d’autre qu’en donner la définition, et toute déliuition exprime seulement l’être {esse) de la chose ; mais tout l’être d’une chose provient de la forme ; par conséquent, la définition n’est rien d’autre que la forme. Mais la forme d’une chose quelconque en est la quiddité. Par conséquent, ce qu’une chose est au fond (ipsum quod quid est), c’est la quiddité de cette chose.

» Dès lors, il est clair que pour acquérir la connaissance véritable de ce qu’une chose est au fond (ipsum quod quid est), il convient de séparer la forme de cette chose de la chose même.

» Nous devons commencer parce que l’intelligence connaît le mieux, et cela, c’est l’existence (esse) même, dont l’acte, dont la forme est l’essence (essentia). L’essence est donc l’acte et la perfection de l’existence, acte en vertu duquel l’existence ne fait ou ne produit rien que l’existence…

» De même, l’unité est l’acte et la perfection de ce qui est un, acte en vertu duquel ce qui est un ne produit rien qui ne soit un. Unitas est actus et perfectio unius, ratione cujus unum non agit nisi unum. »

Et sur toute chose concrète imaginable, Raymond Lull va reprendre la même opération intellectuelle qu’exprimera la même formule ; à cette chose concrète, il fera correspondre une quiddité ou forme abstraite ; de cette quiddité ou forme, il répétera infatigablement qu elle est l’acte en vertu duquel la chose concrète considérée a pour terme de son action une autre chose de même sorte.

« La substanticité {substanticitas), dit-il. est l’acte et la perfec-


    tées, trop de termes abstraits que Lull n’emploie jamais ; il pensait voir en cet opuscule J’œuvre d’ua lulliste anonyme, heureux d’attribuer au maître ses propres élucubrations. M. Probst pense également (b) que ce traité est apocryphe.

    Mais, en premier lieu, si la Kabbala énonce une règle systématique de Formation de termes abstraits, les autres ouvrages de Lull usent constamment de celte règle,

    En second lieu, ces termes étaient fort employés à Paris peu de temps après la mort de Lull, puisque nous verrous Guillaume d’Ockam, en ses Quolibets, eu condamner l’usage.

    Si donc la Kabbala n’est pas de Lull, elle doit être d’un de ses disciples immédiats. Au point devue de I histoire des doctrines philosophiques, il n’importe guère de décider entre ces deux hypothèses.

    (a) R. P. Antomo Pascual, Vindiciæ Luttianæ, Aveuouiæ, 1787 ; t. I, p. 275.

    (b) J. H. Probst, Caractère et origine des idées du Bienheureux Raymond Lulle, Toulouse, 1912 ; p. 234.