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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

pendant un certain temps, et, en un autre être particulier, mue pendant un autre temps. Mais, toutefois, je demeure une essence indivise, car mon mouvement est un mouvement absolu, et, partant, mon essence est, elle aussi, une essence absolue.

» Je suis en un lieu absolu. Mais en tant que je me trouve répandue et concrétisée dans les êtres particuliers, je me trouve logée en des lieux particuliers et, par mes diverses parties, je passe d’un lieu en un autre. Et cependant, je demeure absolue en moi-même, logée en mon lieu absolu ; le lieu lui-même est, en moi, à l’état passif ; il ne s’étend pas hors de moi, car il est un de mes accidents, un de ceux auxquels je suis conjointe.

» Comme je suis absolue, je suis première à l’égard de ma propre essence ; mais si je n’étais pas conjointe à la première forme, et si celle-ci n’existaitpas en premier lieu, je n’aurais rien qui me permît d’être la passivité primitive et, partant, je ne serais pas la matière première. Cela est évident, car ma bonté passive primitive, ma grandeur passive primitive, etc., ne seraient pas respectivement conjointes à la bonté active primitive, à la grandeur active primitive etc.

» Si la première forme n’existait pas, une forme particulière ne saurait être engendrée aux dépens d’une autre forme particulière. De même, si je n’existais pas, moi matière première, une matière particulière ne pourrait être engendrée aux dépens dune autre ; lorsqu’une matière particulière serait corrompue, son essence même serait détruite ; le vide et la discontinuité se trouveraient alors produits dans la nature, le mouvement cesserait, et, par conséquent, il y aurait anéantissement successif de tout l’Univers. Or cela est impossible. 11 est donc prouvé que la matière première existe. »

Le mouvement prend, à son tour, la parole et dit[1] :

« Je suis un être qui existe en puissance vers l’acte ; j’existe dans le sujet au sein duquel je réside, sujet à l aide duquel le moteur meut le mobile de la puissance à l’acte.

» Je suis un être absolu qui procède, tout d’abord, à partir des principes innés du Ciel, de sa bonté, de sa grandeur, etc. Le Ciel, par sa constitution, est composé de matière, de forme et des dix prédicaments. Par moi, la forme du Ciel se meut elle-même en se rendant active, et elle meut la matière en la rendant passive ; elle meut selon la quantité, car je suis doué de quantité,

1. Raymundi Lullii Op. laud., cap. IX ; De motu. Éd. cit., pp. 136-138.

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