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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

propre à mettre d’accord les enseignements de la foi et ceux de la Philosophie.

« Nous avons consacré, dit-il[1], notre labeur et notre sollicitude à cet accord de la philosophie avec la vérité de la foi, afin de rendre la foi même raisonnable et acceptable à ceux qui, nourris dans la Philosophie, savent que l’on a démontré par raisons irréfutables que le ciel est mû par une certaine intelligence a lui intrinsèque. Que l’on n’aille donc pas nous imposer [comme contraire à notre gré] quelque renversement, tiré des prémisses de la foi, de notre opinion. Dès là, en effet, qu’un tel renversement nous serait rendu manifeste par un raisonnement solide ou sommes prêts à mettre notre esprit sous le joug de l’obéissance au Christ. Puis donc que je suis homme, je pourrai me tromper, mais je ne pourrai pas être hérétique. »

Le système d’Ulrich de Strasbourg c’est, nous l’avons dit, celui que Saint Thomas semble avoir proposé dans la Somme théologique. Il est à croire que nombre de maîtres le reçurent comme étant vraiment le seul qui fût propre à accorder la philosophie avec le dogme. Les condamnations portées à Paris, en 1277, au sujet des moteurs des cieux paraissent avoir été rédigées de telle façon qu’elles ne laissassent point subsister d’autre théorie que celle-là, regardée comme seule orthodoxe.


B. L’opinion de Bernard de Trille et d’Hervé Nédélec.


Si les moteurs célestes sont des anges, il est naturel de penser que ces anges meuvent le ciel par leur seule volonté et parce qu’ils obéissent librement à Dieu ; cette opinion, nous l’avons vu, est celle que Thomas d’Aquin regarde comme la plus probable en un de ses écrits, en sa Question disputée sur les créatures spirituelles[2].

« On peut dire avec probabilité que c’est par l’empire de sa volonté que la substance spirituelle meut le ciel. Probabiliter dicitur quod imperio voluntatis substantia spiritualis movet corpus cæleste. »

Sans doute, une volonté créée ne peut, directement, contraindre la matière à changer de forme ; mais elle la peut obliger à chan-

  1. Ulrici de Argentina Op. laud., lib. IV, tract. III, cap. I ; ms. cit., fol. 299, col d.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Quæstio disputata de spiritualibus creaturis, art. VI : Num substantia spiritualis cælesti corpori uniatur.