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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Lull n’était amené à développer quelqu’une des opinions qu’il professe en Physique ou en Métaphysique.


C. Les Douze principes de la Philosophie.


La connaissance de ces opinions se trouvera accrue par la lecture d’un petit traité plus récent que l’Ars magna et l’Ars revis.

Ce traité porte trois titres[1] : Les douze principes de la Philosophie, Lamentation et supplication de la Philosophie contre les Averroïstes, enfin Physique. Dédié à Philippe le Bel, il fut[2] « achevé à Paris, au mois de Février de l’an MCCCX (1311) de l’incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ ».

Le plan de cet opuscule rappelle quelque peu celui du traité consacré aux condamnations de 1277 ; il porte la marque de l’ingéniosité, parfois étrange, de notre Franciscain.

La Philosophie se plaint amèrement d être calomniée par les Averroïstes : « Ils affirment que, selon ma propre méthode de connaître, selon l’intelligible, qui est mon sujet, la foi catholique est erronée et fausse ; mais ils disent qu’elle est vraie au point de vue de la croyance. Mais ils me font grande injure, car mon intelligence ne parvient pas à concevoir comment ils peuvent affirmer qu’ils croient à la sainte foi catholique et déclarer qu’ils la regardent comme fausse ».

Au milieu de ses soupirs et de ses larmes, la Philosophie s’écrie : « Par devant mes principes qui sont la forme, la matière, la génération, la corruption, la vertu de composition élémentaire (elementatio), la vertu végétative, le sens, l’imagination, le mouvement, l’intelligence, la volonté et la mémoire, je confesse que jamais, à l’encontre de la Théologie, je n’ai conçu fraude, dol ni déception ; je reconnais que je suis sa servante ». « Et vous, poursuit-elle en s’adressant à ses douze principes, qu êtes-vous ? » Tous, sauf l’intelligence, qui garda le silence, s’empressèrent de répondre : « Vous êtes la véritable et loyale servante de la Théologie ». « Et toi, intelligence, que dis-tu ? » L’intelligence répondit : « Presque en entier, je suis pervertie, à force d’errer à Paris, parmi les diverses opinions ; dès lors, que puis-je dire ? Ma lumière devrait consister en clarté et en vérité ; mais les erreurs et les faussetés des philosophes l’ont toute obscurcie et enténé-

  1. Duodecim Principia Philosophiæ M. Raymundi Lullii, quœ et Lamentatio seu Expostulatio Philosophiæ contra Averroistus, et Physica ejusdem dici possunt. Ed. cit., pp. 113-146.
  2. Raymundi Lullii Op. laud. ; in fine ; éd. cit., p. 146.