Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/525

Cette page n’a pas encore été corrigée
515
LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

que tout être de grandeur finie ; nécessairement, donc, il a plus de part à l’existence.

» Or l’être de grandeur finie existe ; donc il est nécessaire que l’être infiniment grand existe.

» Mais nous nommons Dieu cet être qui est l’infini. Il est donc nécessaire que Dieu existe. »

L’influence de Saint Anselme se reconnaît bien aisément en cet argument, qui peut servir de type à tous ceux que Lull développe avec une audacieuse confiance.

B. Le Grand Art.

Cette confiance en la puissance de la raison ne demeurera pas toujours aussi entière au cours de l’œuvre logique que Raymond va accomplir, en vue du Grand Art dont il aspire à formuler les règles[1].

Les opérations de l’Arithmétique sont, en dernière analyse, des suites de syllogismes ; une grande justesse d’esprit serait requise pour dérouler sans aucune défaillance ces longues chaînes de raisonnements. Les mathématiciens leur ont substitué des règles fixes qu’il suffit d’appliquer avec une précision de machine pour être assuré de l’exactitude du résultat obtenu ; à la déduction, ils ont substitué le calcul, où les diverses qualités de la raison ne sont plus requises, où un esprit faux aboutira sûrement à des conséquences justes pourvu qu il conforme toutes ses démarches à l’algorithme prescrit.

Ce que les mathématiciens ont pu faire dans le domaine de l’Arithmétique, ne le pourrait-on faire en tout domaine où le raisonnement est maître ? Ne pourrait-on tracer des règles absolument précises et fixes qu’il suffirait de suivre ponctuellement pour énumérer, sans défaillance possible, toutes les questions qu’il y a lieu de poser en un sujet donné, et pour formuler les réponses qui doivent être faites à ces questions ?

Créer cette sorte de calcul universel qui permettrait même à l’esprit le plus faux de philosopher justement en toute matière, ce fut une des grandes ambitions de Raymond Lull. C est parce qu’il a prétendu découvrir les procédés de ce Grand Art qu’il est le plus souvent cité par les historiens et, avouons-le, cité avec une

1. Quel était le véritable objet de Lull en composant son Grand Art, c’est ce que M. J. H. Probst examine en un des chapitres les plus intéressants de la thèse qu’il a consacrée à notre auteur (J. H. Probst, Caractère et origine des idées du Bienheureux Raymond Lull, Toulouse, 1912, pp. 56-67).

  1. 1