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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Si quelqu’un dit : Los objections que l’on peut faire contre la foi peuvent être résolues par raisons nécessaires, et les preuves que l’on peut donner en faveur de la foi peuvent être également brisées par raisons nécessaires, nous répondrons : Cela implique une contradiction qui ne saurait tenir ; sur le même sujet, deux conclusions contraires ne peuvent tenir en même temps. »

Raymond Lull, qui va consacrer une grande part do son activité à des œuvres de Logique, avait assurément l’esprit fort peu juste ; les courtes citations que nous venons de faire le prouvent surabondamment.

Privé de la justesse d’esprit qui l’eût mis en garde contre les excès du raisonnement déductif, notre auteur se livre, avec une aveugle confiance, à l’argumentation a priori ; existence de Dieu, unité de Dieu, trinité des Personnes divines, non-éternité du Monde lui paraissent être des corollaires de syllogismes démonstratifs. Un exemple nous montrera de quelle nature sont ces syllogismes. Choisissons une des cinq preuves de l’existence de Dieu, la seconde, celle qui prétend démontrer qu’il y a un être infiniment grand[1] ; la voici :

« Plus une chose accède à l’être et participe de l’existence, plus aussi elle a de grandeur et de bonté.

» Mais s’il n’y a point d’être infiniment grand, tout être est de grandeur finie. L’être de grandeur finie, puisqu’il existe, est alors plus noble que l’être infiniment grand qui n’existe pas. Il en résulte qu’une chose accède d’autant plus à l’être, et, partant, qu elle est d autant meilleure et plus grande qu’elle est plus finie.

» La partie étant plus finie que le tout, sera meilleure et plus grande que le tout ; la partie ne sera donc pas partie, mais bien tout, et le tout ne sera point tout, mais bien partie.

» Mais cela est faux et impossible, parce que contradictoire ; donc la proposition d’où découle cette conséquence est fausse et impossible ; or cette conséquence résulte de ce qu’on a posé la non-existence de l’être infini ; partant, il est impossible que l’être infini n’existe pas et nécessaire que l’être infini existe.

» Nous pouvons mettre de la manière que voici notre syllogisme en évidence :

» Plus un être est grand, pins il est nécessaire qu il participe de l’existence.

» Mais l’être infiniment grand est nécessairement plus grand

1. Raymundi Lullii, Op.laud., Secundo : Quod sit dare ens infinite magnum. Ed. cit., pp. 921-922.

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