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LES DEUX VÉRITÉS. RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

« Quelques chrétiens, et de ceux que l’on nomme grands en science, est-il écrit au commencement de cet opuscule[1], disent que la foi catholique prête davantage à la réfutation qu’à la preuve (improbabilis magis quam probabilis). C’est un fait dont il nous faut rougir, et que nous devons déplorer. En effet, il résulte de là, pour notre foi, un grand discrédit auprès des infidèles qui la regardent comme de nulle valeur ; et peut-être même quelques chrétiens en ont-ils conçu. contre ladite foi, de sinistres soupçons.

» D’autres disent et affirment que la foi est véritable, mais que, scion la méthode de la raison (secundum modum intelligendi), elle semble n’être pas véritable.

« C’est pourquoi, avec laide du Saint-Es prit, nous nous efforcerons de tout notre pouvoir à démontrer que ladite foi est véritable et qu elle peut être prouvée (vera et probabilis). »

L’auteur écrit un peu plus loin[2] :

« Nous, maitre Raymond Lull, nous confions ce petit écrit aux religieux et aux séculiers sages et discrets, afin qu’ils regardent et examinent avec grand soin ce que nous venons de dire, et qu’ils considèrent, en outre, si la déduction suivante contient la vérité d’une manière nécessaire :

» Certains maîtres en Théologie affirment ou attestent que toute objection élevée contre la foi catholique peut être résolue par le moyen de raisons nécessaires, savoir, en comprenant exactement les conséquences de ces raisons.

» Dès lors, il en résulte, selon leur témoignage, que la sainte foi catholique peut être prouvée par raisons nécessaires, et cela suivant la méthode de l’intelligence {per modum intelligendï), et non pas seulement selon la voie de la croyance (per moefurn credendï). Si quelqu’un prétendait que la déduction que nous venons de faire n’atteint point la vérité, il lui faudra déclarer que la proposition énoncée par ces maîtres est vaine, »

Un Gilles de Rome, pour nous contenter de citer un seul nom, eût certainement souscrit à la déclaration de ces maîtres ; mais il n’eût pas admis sans réserve la conclusion que Raymond Lull en prétendait déduire ; il eût, au Docteur Franciscain, objecté tel cas où les arguments par lesquels on a prétendu démontrer un dogme, celui de la non-éternité du Monde par exemple, se peuvent réfuter aussi bien que les objections opposées à ce dogme. Mais Lull n’eût point admis cette réponse, et voici ce qu’il eût répliqué[3] :

1. Ratmundi Lullii, O/i. laud.t Introduction Ed. cit-, p.gi7 ;

2. Raymond Lull, lac, cit.t éd. cil., p. 918,

3. Raymond Lull, loc. cil »

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