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CHAPITRE VII
LES DEUX VÉRITÉS.
RAYMOND LULL ET JEAN DE JANDUN

Au long des cinquante années qui s’écoulèrent de 1280 à 1330, l’ordre de Saint François fut le siège d’une activité philosophique véritablement extraordinaire. De ce mouvement puissant, nous venons de suivre le grand courant. Issu, avec Richard de Middleton, de l’enseignement qu’Henri de Gand donnait à Paris, transmis par les leçons que Guillaume Varron professait à Oxford, il se développe avec une magnifique ampleur en l’œuvre de Jean de Duns Scot ; les tendances multiples qu’unissait entre elles le génie du Docteur Subtil entraînent après lui, en des directions diverses, ceux qui ont pu entendre sa parole ou qui ont été des premiers à lire ses écrits ; en ces flux divers, qui tantôt se séparent et tantôt se mêlent, on peut distinguer la direction suivie par Pierre Auriol, — les dérivations multiples, mais voisines les unes des autres, qui constituent le Scotisme des Antonio d’Andrès, des Jean de Bassols, lesquels confluent pour former l’essentialisme des François de Meyronnes et des Nicolas Bonet, — enfin le torrent impétueux qui entraîne la pensée de Guillaume d’Ockam, et que, bientôt, nous aurons à suivre.

Mais on se tromperait fort si l’on imaginait que ce grand courant rassemble en lui tout l’afflux de la pensée franciscaine. En l’ordre des Mineurs, il est des sources dont les eaux ne viennent point rejoindre ie fleuve du Scotisme et de l’Occamisme et suivent un cours sans confluent.

Qu’une extrême indépendance intellectuelle se soit rencontrée chez les Franciscains, au temps dont nous contons l’histoire, on ne saurait s’en étonner si l’on songe aux divisions profondes qui, sur une foule de sujets, séparaient les Mineurs en partis opposés, voire en factions ennemies, si l’on se souvient, en particulier, de la violente querelle qui mettait aux prises les frères spirituels avec les frères conventuels.