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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

d’accorder qu’ils existent en fait et d’une manière nécessaire. Il est admis, en effet, qu’ils sont exempts de génération et de corruption, qu’ils sont immortels et perpétuels ; il faut donc admettre qu’ils existent toujours ; pour les choses perpétuelles, en effet, pouvoir être et être ne diffèrent pas. Et c’est bien la pensée de Platon ; Platon, en effet, n’a pas seulement supposé que ces universaux fussent possibles ; il les a regardés comme existant en fait et d’une manière nécessaire.

» Mais selon certains autres principes qui sont en grand désaccord avec les principes des philosophes, de ce que ces universaux séparés sont possibles, il n’est pas forcé qu’ils existent en fait et d’une manière nécessaire. Selon ces principes, en effet, l’univers n’est pas seulement créé (productum) ; il est encore créé d’une manière contingente et libre. »

Notre auteur, qui a certainement lu et médité Henri de Gand, reconnaît qu’un chrétien peut, sans contredire à ses principes, admettre la possibilité des universaux platoniciens sans les déclarer aussitôt réels et nécessaires ; mais il refuse à Aristote tout droit à cette attitude réservée.

Les universaux séparés n’existent peut-être pas d’existence réelle ; mais il est certainement possible qu’ils existent. C’est là la conclusion que notre auteur pense avoir justifiée. Cette conclusion, il n’a garde de l’oublier lorsqu’il traite des universaux ; il résout d’abord chaque problème comme si les idées platoniciennes étaient dénuées d existence réelle, puis il a soin de traduire la solution dans le langage de Platon.

Quelle est donc cette doctrine de Bonet au sujet des universaux ? Selon notre autour, toute chose peut être de trois manières ; elle peut être, en premier lieu, de l’existence essentielle (esse quidditalivum) ; elle peut être, en second lieu, de l’existence réelle (esse realis existentiæ) ; elle peut être, enfin, de l’existence conceptuelle (esse cognitum). Ces trois sortes d’existence, les universaux, eux aussi, les peuvent posséder.

Tout universel est une quiddité ; il est donc bien certain que tout universel possède cette première existence que Nicolas Bonet nomme esse quidditativum, qui consiste à être en puissance objective ou, en d’autres termes, à être simplement possible. « Lors même qu’un universel[1] n’existerait jamais, ni dans l’intelligence ni dans la réalité extérieure à l’esprit, cet universel serait encore

  1. Nicolai Boneti Metaphysica, lib. VIII, cap. I ; ms, no 6678, p. 98, vo ; ms. no 16132, fol. 73, col. c.