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L’ESSENTIALISME

place. Au contraire, dans le Monde essentiel de Bonet, les quiddités générales ne résident pas seules ; chaque individu y est aussi représenté par sa différence individuelle, par son hœccéité ; seuls les accidents en sont exclus.

En second lieu, les idées de Platon existent d’existence actuelle, ce sont des réalités. Au contraire, les quiddités ne sont pas des choses, elles ne possèdent pas l’existence réelle et actuelle ; elles possèdent seulement la pure possibilité qui constitue, pour François de Meyronnes et pour Nicolas Bonet, une manière d’être, l’existence en puissance objective, L’existence essentielle (esse quiddditativum).

L’essentialisme n’est donc pas le réalisme platonicien ; mais il ne répugne pas à cc réalisme ; bien au contraire, il incline l’esprit à l’admettre ; et, vers cette doctrine, la raison de Nicolas Bonet penche très fortement.

Notre auteur consacre un livre entier de sa Métaphysique, le septième, à exposer la théorie platonicienne des idées, qu’il formule en dix propositions. À sa minutieuse discussion, voici quelle conclusion il donne :

« Par ce que nous avons dit[1], ces dix propositions de Platon, au sujet des universaux séparés et des idées, apparaissent clairement comme possibles et vraies ; seule la cinquième proposition doit être exceptée et laissée dans le doute[2].

» Mais bien que ces dix propositions soient possibles (et, à ce sujet, tout le monde est d’accord) il y a doute pour savoir si elles sont ou non nécessaires ; il est difficile, en effet, de trouver une démonstration qui conclue d’une manière nécessaire à l’existence, au sein de la réalité naturelle (in rerum natura), de ces universaux séparés d’une manière actuelle. Bien que cela se puisse démontrer de l’universel qui est le premier d’une manière absolue et aussi de quelques intelligences qui meuvent les orbes, on ne saurait cependant le faire d’une manière générale pour tous les universaux relatifs à toutes les espèces et à toutes les catégories.

» Mais, d’autre part, il nous faut dire ceci : Tout philosophe, tout homme qui suit uniquement les principes naturels, dès là qu’il a accordé la possibilité de ces universaux séparés, est tenu

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. VII, cap. IX, ms, no 6678, fol. 98. ro ; ms. no 16132, fol. 72, col. d. et fol. 73. col. a.
  2. Cette cinquième proposition est ainsi formulée : Quod universamia sunt multiplicabilia in plura ejusdem rationis (Nicolai Boneti Op. laud., lib. VII, cap. II, ms. no 6678, fol. 92, vo).