Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/512

Cette page n’a pas encore été corrigée
502
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

nécessairement, tant en existence connue (esse cognitum) qu’en existence voulue (esse volitum), des objets distincts d’elle-même.

» Direz-vous que non ? Direz-vous que l’existence conceptuelle consiste simplement à être dénommée par l’opération intellectuelle, que l’existence voulue consiste uniquement à être désignée par l’opération de la volonté : que, d’ailleurs, l’opération intellectuelle et l’opération de la volonté ne sont aucunement, dans le premier Moteur, choses produites, car elles sont réellement identiques avec l’intelligence elle-même. La réponse à cette objection est évidente par ce qui précède : Cotte existence connue n est pas la même chose que la connaissance elle-même, qui est une certaine entité absolue ; nécessairement, il y a ici une certaine autre réalité, qui est une production active et passive de 1’objet connu. Il en est de même de l’opération de la volonté. »

Au sein du premier Moteur, donc, « il faut[1] nécessairement admettre deux productions actives et deux productions passives. L’intelligence, en effet, a, d’une manière naturelle et nécessaire, la production qui lui convient, c’est-à-dire la production d’un objet à l’existence conceptuelle (esse cognitum) ; la volonté a, de même, la production qui lui convient, savoir celle de l’objet en l’existence voulue (esse volitum). Mais ces deux productions diffèrent l’une de l’autre ».

À partir de ce principe, Nicolas Bonet développe, en sa Théologie naturelle, toute une doctrine de la 1 rinité. Nous ne dirons rien de cette théorie qui nous entraînerait fort loin de notre sujet. Du moins était-il nécessaire d’en indiquer le point de départ, afin de donner une idée d’ensemble du système que notre franciscain a conçu en développant 1’essentialismme de François de Meyronnes.

Il est impossible de prendre connaissance de cet essentialisme sans songer à le rapprocher du réalisme platonicien, d’entendre la description du monde des quiddités sans le comparer tout aussitôt au monde des idées.

Entre ces deux mondes, les analogies sont trop visibles pour qu’il soit utile de les énumérer. Mais il faut bien prendre garde que ces analogies fassent oublier les deux différences profondes qui les séparent ; rappelons donc quelles sont ces deux différences.

En premier lieu, le Monde idéal de Platon ne renferme que des idées générales, que des universaux ; rien d’individuel n’y a

1. Nicoiai Boneti Op. laud., lib< IV, cap. Xlll ; ms, no foL aôo, colL c et d-

  1. 1