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L’ESSENTIALISME

compatible avec le néant (nihiltas) de la chose dont elle est l’exis tence.

» Elles diffèrent troisièmement en ceci : L’existence réelle n’est pas susceptible de multiplicité ; de chaque chose, l’existence réelle est unique. Au contraire l’existence conceptuelle peut être multiple ; elle peut se répéter, pour une même chose, autant de fois qu’il y a d’intelligences distinctes et de manières différentes de concevoir cette chose ; orque les façons de concevoir une même chose puissent être multiples, cela est évident. »

Passons sur quelques autres différences marquées par Bonet pour arriver à la sixième et dernière :

« Elles diffèrent sixièmement eti ceci : L’existence réelle réside dans mie chose permanente ; elle n’est pas en un continuel écoulement, en un continuel devenir. Au contraire, l’existence conceptuelle (esse intentionale et esse cognitum) est nécessairement en un continuel écoulement, en un devenir continuel ; à chaque instant, une nouvelle existence conceptuelle est produite (innocatur) ; elle passe soudainement ; elle a l’instant pour mesure ; tout aussitôt, une autre existence conceptuelle lui succède ; il en est ainsi tant que l’opération intellectuelle se poursuit activement dans l’esprit (dum intellectus manet in acte intelligentiæ). »

Lorsque nous étudierons i opinion que Bonet professe au sujet du mouvement et du temps, nous nous souviendrons de ce dernier caractère dont, alors, nous comprendrons toute l’importance.

« Toutefois, poursuit Bonet, il vous faut, avec soin, faire la remarque suivante ;

» Lorsqu’on vous dit que l’esprit amène un objet à l’existence conceptuelle, il ne faut pas vous imaginer que l’esprit produise quelque chose de cet objet qui lui soit intrinsèque à lui-même ; il ne faut pas imaginer davantage qu’il produise quelque forme exemplaire, quelque modèle (ydolum), forme ou type dans lequel il regarderait l’objet comme dans un miroir. Amener un objet à l’existence connue, c’est simplement lui conférer cet être (esse), cette existence (exislentia) en vertu desquels on dit qu’il est conçu, qu’il est énoncé (dici), qu’il est un objet connu. »

Bonet identifie ici ces deux notions : être conçu (concipi) et : être dit ou énoncé (dici). Il est clair que l’énonciation dont il parle n’est pas celle de la parole que les lèvres profèrent, mais celle du verbe intérieur à l’esprit.

» Je veux vous donner un exemple. Je l’emprunte à ceux au gré desquels les quiddités sont, de toute éternité, en existence essentielle. Ils disent que l’existence réelle (esse existentiæ) qu’une