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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

doit, comme objet de la puissance productive, prendre une chose positive qui soit dénuée de tout acte, exempte de toute différence capable de conférer contraction et actualité ; il faut que cette chose soit le premier sujet de toute contraction actuelle, de toute détermination donnée par un acte quelconque ; il faut qu’il ne soif pas ceci ou cela, qu’il ne soit pas tel ou tel, qu’il ne soit pas de telle ou telle grandeur (nec quid nec quale nec quantum), qu’il ne soit ni homme ni âne, mais qu’il soit en puissance de devenir tout cela. C’est de la même façon que l’intelligence en puissance (intellectus possibilis) est une chose purement potentielle (purum possibile), dépouillée de tout acte, afin qu elle puisse servir d’objet à la puissance intellectuelle de l’intelligence active. De même, donc, qu’en l’ensemble de la Nature il se rencontre un Principe à qui il appartient de tout faire, il s en rencontre un autre dont le propre est de devenir toute chose ; ce dernier, c’est la quiddité de l’être en tant qu’être.

» Par là, se trouvent déliées les raisons qui prétendaient prouver la nécessité [de poser toutes les quiddités en l’existence essentielle]. En elfet, elles ne concluent pas absolument qu’il faille mettre toute chose en la puissance objective ; elles concluent seulement qu’il y faut mettre une certaine chose ; au pouvoir de l’agent, en effet, correspondra bien quelque chose de possible (possibile) et de positif ; ce sera la quiddité de l’être, que la force de l’agent fera passer de la non-existence à l’existence. »

Cette doctrine de la quiddité de l’être en tant qu’être est capitale en la Métaphysique de Nicolas Bonet ; il y revient en maintes circonstances, afin d’en développer et d’en préciser les diverses affirmations ; le passage que nous venons de rapporter nous permet déjà d’en saisir les traits dominants.

Le désir qui oriente les méditations de notre auteur, comme il a déjà dirigé les recherches de maint scolastique, c’est un désir contre lequel nous avons entendu la protestation de Saint Thomas d’Aquin ; c’est le désir de construire une théorie de la création semblable à la théorie de la génération qu’Aristote avait développée.

Aristote ne connaît pas de cause créatrice qui fasse passer une chose de la non-existence absolue à l’existence réelle ; il connaît seulement des causes efficientes capables de conférer l’existence en acte à ce qui possédait déjà l’existence en puissance ; lors donc que, par génération, elles confèrent l’existence en acte, elles la confèrent à quelque chose qui existait déjà en puissance ; elles n’engendrent pas à partir du néant, mais à partir d’une matière.