Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
L’ESSENTIALISME

nes, mais que la subtilité de cet auteur ne laissait pas apparaître en une lumière pleine et crue.

« Une question douteuse, dit Bonet[1], est celle-ci :

» Ces quiddités distinctes résident-elles [seulement] dans les choses sensibles, et trouvent-elles entièrement détruites et anéanties lorsque ces choses sensibles sont détruites ? ou bien, au contraire, ces quiddités ne persisteraient-elles pas en l’existence essentielle et séparée qui leur est propre (in suo esse quidditativo separato) alors même que toutes les choses singulières auraient été détruites et auraient perdu l’existence actuelle ?

» Assurément, Aristote et Averroès, tout en supposant, en une chose, l’unité ex natura rei des diverses quiddités,… affirmeraient que les essences sont absolument nécessaires et incorruptibles, puisqu’elles sont objets de science et susceptibles de définition ; ils affirmeraient que, lorsqu’elles sont séparées des existences [individuelles], elles continuent d’être des êtres (esse ens) et de posséder les attributs des catégories supérieures ; si une essence cesse d’être en cet individu qui existe d’une manière actuelle, elle est en un autre individu de même nature (ratio) que celui-là ; mais toujours, de chaque espèce, il demeure quelque individu en qui subsiste tout entière la nature de cette espèce (natura speciei)…

» Mais, demanderez-vous, si l’on supposait que tous les individus fussent détruits, que, par exemple, tous les hommes singuliers fussent, anéantis, est-ce que la quiddité de l’homme ne serait plus qu’un pur néant (omnino nihil) ? ou bien l’homme continuerait-il d’être animal, corps, substance, être ? De cette façon, tout ce qui se trouve présentement en Socrate, qui est doué d’existence actuelle, tout cela subsisterait, à la seule exception de l’existence actuelle, dont tout cela serait alors privé, dont tout cela aurait été séparé par la corruption, à laquelle tout cela serait ramené par la génération.

» Il est fort difficile de dissiper le doute relatif à cette question.

» Il y a, à ce sujet, trois propositions soumises à la discussion.

» Quelques-uns disent qu’il est absolument impossible de poser les quiddités en l’existence essentielle (esse quidditativum) et en la puissance objective.

» D’autres formulent cette seconde proposition : Cela ne semble pas impossible, mais il n’apparait pas qu’aucune nécessité nous y contraigne.

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. III, cap. XVII ; ms. no 6678, fol. 53, ro et vo ; ms. no 16132, fol. 36, coll. a et b.