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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

chose, cet auteur met une distinction aussi nette, aussi tranchée qu’est la séparation péripatéticienne entre la matière et la forme. Aucun partisan de la pluralité des formes, aucun sectateur d’Avicébron n’a jamais demandé davantage. À la vérité, c’est bien ici la doctrine d’Ibn Gabriel, adoptée dans sa plénitude et jusqu’en ses dernières conséquences.

Bonet sait bien, d’ailleurs, que la théorie qu’il adopte se heurte à des objections ; ces objections, il les lui faut lever. Voici d’abord celle des Ockamistes[1] :

« La nature ne fait rien en vain ; on ne doit donc pas, en la nature, admettre la pluralité sans qu’apparaisse la nécessité de le faire. Evidemment, si la pluralité des formalités n’est pas nécessaire, il ne la faut point supposer en la nature.

« Il nous faut donc rechercher s’il y a quelque nécessité d’admettre cette distinction ex natura rei là où il n’y a pas, cependant, distinction réelle, » séparant une chose d’une autre chose.

Mais cette nécessité, c’est le principe de contradiction lui-même qui la fait apparaître[2]. « Là où une même affirmation s’applique véritablement à un élément tandis que la vérité exige qu’on la nie d’un autre élément, on conclut nécessairement, entre ces deux éléments, une certaine non identité ex natura rei. »

La théorie des formalités ne rencontre pas seulement des objections ; elle se heurte à la routine de ceux qui ne veulent pas de cette nouveauté imaginée par Duns Scot et par ses disciples de Paris. À ceux-là Bonet répond maintenant[3] :

« Il semble bien que cette supposition des formalités ne soit pas née en Écosse ni en France, mais en Grèce, à Athènes, dans l’École d’Aristote ; par sa parole et par ses écrits, Aristote l’a enseignée… Tout le septième livre de la Métaphysique est rempli de ces formalités et de leur non-identité. »

Après avoir ainsi défini les quiddités ou formalités, après avoir dit comment, en une seule et même chose, des quiddités multiples peuvent être distinctes les unes des autres ex natura rei, Bonet passe au grand problème de la perpétuité des essences, de la distinction entre l’existence essentielle et l’existence réelle ; là encore, avec sa netteté habituelle, il va donner une formule précise et arrêtée au système qu’admettait François de Meyron-

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib, III, cap. XIV ; ms. no 6678, fol. 51, ro ; ms. no 16132, foL 34 » col. c.
  2. Nicolai Boneti Op. laud, , lib. III, cap. XV ; ms. no 6678, fol. 51, v{e|o}} ; ms. no 16132, fol. 34 » col. d.
  3. Nicolai Boneti Op. laud, , lib. III, cap. XVI ; ms. no 6678, fol. 52, v{e|o}} ; ms. no 16132, fol. 35, col. c.