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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

sophes lorsqu’il s’agit de préciser ce qu’elles sont hors de l’esprit.

Veut-on, avec Avicébron, supposer que ces distinctions sont des distinctions réelles ? On se heurte, alors, à l’objection suivante : Ces diverses quiddités, qui composent l’essence d’une même chose, et qui sont réellement distinctes les unes des autres, sont autant de choses diverses ; comment ces diverses choses peuvent-elles, en même temps, constituer une chose unique ?

Éviter cette objection est le principal souci de ceux qu’on a, bien à tort, nommés Scotistes. Ils ne veulent pas reconnaître, comme l’a fait Duns Scot, que la distinction entre les diverses formalités est une simple distinction de raison ; il leur faut, alors, attribuer à cette distinction une certaine réalité qui, cependant, ne compromette pas l’unité de la chose en laquelle on la pose.

Cette distinction, Nicolas Bonet ne l’appellera pas distinction réelle ; il dira que c’est une distinction tirée de la natur de la chose, distinctio ex natura rei.

« Mais tout d’abord, dit-il[1], il faut voir si la distinction de plusieurs éléments[2] ex natura rei peut exister en une chose (res) unique » sans en compromettre l’unité.

« Si l’on prend ce mot : chose (res) à la façon d’un attribut, pour désigner tout ce qui est positif, tout ce qui dépasse le néant, il est que ; la coexistence des unes et de l’autre impliquerait contradiction. Ence sens, en ellet, des éléments qui sont distincts ex natura rei sont distincts réellement. Quæcunque sic distinguuntur ex natura rei, distinguuntur realiter. » Ils constituent autant de choses différentes dont il serait absurde de dire qu’elles sont une seule chose. »

« C’est cette signification du mot : chose, qui induit en erreur tous les adversaires des formalités ; ils croient que les partisans des formalités usent du mot : chose, dans le sens où ils en usent eux-mêmes ; c’est ce qui est faux.

» Si l’on prend, au contraire, le mot chose, selon ce qui est sa première signification, dans le sens de support, de fondement

1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. III, cap. XIII ; ms. n® 6678, fol. 5o, v® ; ms. n » t6i3a, fol. 3^, colt. a et b.

2. Nous employons ce nom là où le latin met un simple neutre, afin de réserver le mot ; chose, à la traduction du mot : res.

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