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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

» Mais cette opinion, notre foi la rejette. Elle admet, en effet, que l’arrêt du mouvement du ciel n’entraîne pas la corruption substantielle du ciel ; or il faudrait qu’il l’entraînât si la forme du ciel était une âme qui fût l’acte d’un corps et dont le mouvement du ciel fût l’opération naturelle. Aucune chose, en effet, ne saurait être privée de son opération propre, non plus qu’elle ne peut être privée de sa nature propre, comme le disent le Philosophe et Saint Jean Damascène. Lors donc que le mouvement prendrait fin, il faudrait, ou que cette âme fût purement et simplement détruite, ou, du moins, qu’elle cessât d’être l’acte de ce corps céleste ; d’une manière comme de l’autre, on devrait entendre que le ciel est substantiellement détruit, comme on le voit, [lors de la mort], pour le corps de l’homme et des autres animaux. »

Les raisons qu’Ulrich fait valoir pour rejeter la théorie d’Avicenne sont, pour ainsi dire, le commentaire et la justification de la condamnation portée par Étienne Tempier contre cette proposition :

213 [71]. La nature qui est le principe du mouvement des corps célestes est une intelligence motrice. — Erreur si l’on entend cette proposition d’une nature intrinsèque qui serait une âme ou une forme.

Après avoir donné les raisons pour lesquelles il rejette certaines explications des mouvements célestes, notre auteur va nous faire connaître sa propre théorie.

Cette théorie, qui attribue à chaque ciel un seul moteur et qui regarde ce moteur comme une intelligence, va nous apparaître comme le développement, très explicite et très clair, de la doctrine que nous avions cru deviner en lisant la Somme théologique. Ici encore, la pensée d’Ulrich paraît présenter la forme achevée vers laquelle tendait la pensée de Saint Thomas d’Aquin ; on dirait que les méditations incertaines et tâtonnantes du maître sont venues se fixer dans l’esprit du disciple.

« Il nous paraît ici, dit Ulrich[1], que nous devons accorder notre consentement à l’opinion la plus probable, à l’opinion des Péripatéticiens, qui est celle d’Averroès au livre De substantia orbis, de Rabbi Moïse au Guide des égarés, et qui est aussi, croyons-nous, celle d’Aristote. Selon cette opinion, le ciel est mû par une intelligence.

» Cette intelligence a une double nature ; elle a une nature intellectuelle par laquelle elle est entièrement séparée et n’est

  1. Ulricus de Argentina, loc. cit. ; ms. cit., fol. 298, col. d ; fol. 299, col. a ; fol. 299, col. c.