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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

hœccéité pourra atteindre à la fois une multitude de formalites et, de toutes, faire un seul individu ; « la blancheur, par exemple[1], se trouvera individualisée par une propriété individuelle ; et non seulement la blancheur, niais encore toutes les autres propriétés universelles qui sont tirées de cette blancheur et qui résident formellement en elle ; toutes ces propriétés universelles sont individualisées par uue seule hœccéité simple ; à elles toutes ne répond qu’une seule hœccéité totale. »

À la tendance qui se manifeste en toute cette doctrine de François de Meyronnes, peut-on donner le nom de réalisme ? Toutes ces distinctions multiples et subtiles qu’il nomme distinctions formelles, toutes ces formalités et tous ces modes intrinsèques qu’il se complaît à multiplier, il proclame sans cesse que ce ne sont point fabrications de l’intelligence ; il déclare que tout cela appartient à la nature des choses, que tout cela subsiste hors de l’esprit, que tout cela serait encore lors même qu’aucune intelligence, fût-ce l’Intelligence divine, n’en aurait connaissance.

Mais, d’autre part, notre auteur n’admet pas que tout ce qui est hors de l’esprit soit réel. Tout ce qui est hors de l’esprit est quiddité ; mais une quiddité peut être privée de réalité ; elle peut n’avoir d’autre existence que l’existence en puissance objective ; une essence, hors de toute intelligence qui la conçoive, peut n’avoir que l’existence essentielle, que cet esse essentiæ qui lui appartient meme alors qu’elle n’a pas reçu l’existence actuelle.

Ce n’est donc pas, à proprement parler de réalisme, qu’il faudrait taxer notre auteur ; il faudrait, si le terme existait, l’appeler essentialiste ; et, par là, il faudrait entendre que la position de l’essentialiste est intermédiaire entre la thèse du conceptualiste et celle du réaliste, comme l’existence essentielle est, pour notre auteur, intermédiaire entre l’existence d’une notion au sein de l’esprit qui la conçoit et l’existence actuelle.

Si l’on voulait, cependant, dire que François de Meyronnes fut réaliste, on le pourrait faire à condition de donner ail mot réel un sens large ; ce sens, il a lui-même pris soin de le définir, alors qu’il se proposait de répondre à celte question[2] : Tandis qu elles sont en la pure existence essentielle, les quiddités des choses créables existent-elles réellement ? « Le réel ; disait-il, peut s’entendre de deux manières, ou bien de ce qui possède en fait la réalité ou bien

1. Francisci de Mayronis Conflatus, Dist. VIII, quæst. V, art. II : éd. cit., fol. 49, col. b.

a. Francisci de Mayronis Quæstiones quodlibetates, quæst. VIII, art. VIII ; éd. cit., fol. 242, col. c.

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