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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

comme nous l’avons vu, un de ces inodes intrinsèques de l’essence.

« Cela posé, on peut montrer d’une manière évidente[1] que la réalité est un mode intrinsèque ; en effet, ce qui advient à quelque chose sans en changer la raison formelle est un mode intrinsèque de ce quelque chose : or la réalité est de cette sorte.

» Je prouve la mineure de deux manières.

» En l’esprit et hors de l’esprit, l’homme a même raison formelle, mais il l’a sous des modes différents ; or, l’homme qui est hors de l’esprit est un homme réel ; la réalité donc ne modifie pas la raison formelle.

» En second lieu, l’homme en acte et l’homme en puissance ont même raison formelle, car ils ont même définition ; mais l’homme en puissance n’a pas une véritable réalité, car l’homme en puissance n’est pas une chose ; tandis qu’il est ensuite une chose lorsqu’il est en acte. Il reste donc que la réalité soit un mode.

» Je dis, dès lors, qu’il y a une moindre différence entre la raison formelle et la réalité qu’entre deux raisons formelles ; et il en est de même de tout mode intrinsèque. »

Nous avons entendu ailleurs François de Meyronnes préciser la nature de ces sortes de différences qui ne sont ni différences fabriquées par l’esprit ni différences réelles ni différences essentielles ni différences formelles, et qu’Henri de Gand eût nommé différences d’intention.

À côté donc de l’existence, mode intrinsèque de l’essence, notre auteur va placer la réalité, mode intrinsèque de la formalité ; car il ne confond pas absolument l’existence et la réalité. « On a coutume de dire, écrit-il[2], que l’existence et la réalité sont la même chose par l’être, mais qu elles diffèrent par la définition ; et par le mot être, on entend ici non point l’essence, mais l’existence. » Cela signifie que l’existence et la réalité s’accompagnent toujours l’une de l’autre, que toute chose qui existe est réelle et que toute chose qui est réelle existe, bien que les deux mots exister et être réel n aient pas le même sens.

« Bien que l’existence et la réalité[3] puissent s’échanger entre elles, il peut arriver que l’existence serve à dénommer une certaine manière d’être que ne dénommerait pas la réalité. »

1. François de Meyronnes, quæst. cit., art. III ; éd. cit., fol. 49, col. c.

2. François de Meyronnes, quæst. cit., art. II ; éd. cit., fol. 49, col. b.

3. François de Meyronnes, quæst. cit., art. III ; éd. cit., fol. 50, col. b.

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