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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

tendu[1] « que les cieux n’étaient pas mus par des intelligences, mais par la seule volonté de Dieu. » — « Mais cette proposition est tout à fait déraisonnable. Cela est rendu manifeste par ce que nous voyons dans les choses inférieures. En effet, tout mobile qui se meut lui-même reçoit sa perfection du moteur qui lui est conjoint ; cela est évident pour les êtres animés. Il serait donc absolument contraire à toute convenance que le premier mobile dont le mouvement est le premier mouvement et la cause de tous les autres mouvements ne tînt pas sa perfection de quelque moteur qui lui fût conjoint, à la façon dont la puissance de tout mobile reçoit sa perfection par la conjonction actuelle avec le moteur. Mais il est certain que la Cause première n’est aucunement unie à son effet à titre de perfection de cet effet ; elle dirige les choses sans se mêler à elles, comme dit le Livre des Causes. »

L’autorité du Livre des causes, qui est le livre préféré d’Ulrich et constamment cité par lui, vient ici en aide à notre dominicain désireux de rejeter une des doctrines favorites de son maître Albert le Grand.

« D’autres, poursuit notre auteur[2], formulent une opinion encore plus déraisonnable ; ils prétendent que le ciel n’est point mû par une intelligence, mais par sa nature ; ils veulent parler de la nature proprement dite, en tant qu’on la distingue de l’âme et de toute substance qui n’est point l’acte d’un corps. »

Contre cette opinion, il développe longuement les objections du Péripatétisme qui se refuse à voir dans le mouvement des cieux un mouvement naturel analogue à celui des corps graves ou légers.

Voici, maintenant, une troisième solution[3]. « Le moteur du ciel communique par influence sa forme au mobile à la façon dont un objet désiré communique sa forme par le moyen du désir. Il faut alors que ce qui est mû soit capable de percevoir la forme désirable ; or cela ne peut convenir à un corps à moins qu’il ne soit animé par une âme susceptible de désir. Il reste donc que le moteur immédiat du ciel soit une âme, que l’objet désiré soit un moteur médiat, et que cet objet désiré soit une intelligence. Les philosophes qui soutiennent cette opinion donnent au ciel deux moteurs, un moteur séparé qui est une intelligence, et un moteur conjoint qui est une âme ; Avicenne dit que, dans la Loi, ces deux sortes de moteurs se nomment anges supérieurs et anges inférieurs.

  1. Ulricus de Argentina, loc. cit. ; ms. cit., fol. 298, coll. a et b.
  2. Ulricus de Argentina, loc. cit. ; ms. cit., fol. 298, coll. b et c.
  3. Ulricus de Argentina, loc. cit. ; ms. cit., fol. 298, coll. c et d.