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L’ESSENTIALISME

François de Meyronnes n’admet ni ce raisonnement ni la conclusion qui en résulte ; voici, en effet, quelle est sa réponse[1] :

« La première division de l’être est bien celle qui distingue entre l’être intérieur à l’esprit et l’être extérieur à l’esprit ; mais lorsqu’on dit que tout ce qui est extérieur à l’âme est réel, je déclare que c’est faux. Les quiddités en puissance objective sont extérieures à l’âme ; elles ne sont pas fabriquées par l’âme ; sinon comme elles sont, lorsqu’elles sont en acte, de même nature que lorsqu’elles sont en puissance, les quiddités en acte seraient, elles aussi, de simples êtres de raison, ce qui est faux. Mais, d’autre part, il est constant que ces quiddités en puissance objective ne sont pas réelles.

» Je dis donc que tout être extérieur à l’âme n’est pas un être réel ; mais je dis que l’être extérieur à l’âme se divise en quiddité et mode de la quiddité… et que la réalité est un mode de la quiddité ; donc la distinction formelle, qui a pour fondement la quiddité, n’est pas une distinction réelle ; seule, sera réelle une distinction fondée sur ce mode de la quiddité qu’est la réalité.

» Voici un exemple qui rend cela évident. Soient deux êtres qui se distinguent l’un de l’autre à la fois par distinction formelle et par distinction réelle, tels qu’un homme et un âne : s’ils viennent à perdre tous deux le mode qui constitue leur réalité, par anéantissement ou corruption, ils ne seront plus réellement distincts, [car ils ne seront plus deux choses] ; cependant, ils continueront, comme auparavant, à être formellement distincts ; car chacun d’eux garde même définition, qu’il soit en acte ou qu’il soit en puissance, j’entends en puissance objective. »

Ce texte met nettement en évidence le fond de la pensée de François de Meyronnes : La différence entre formalité et réalité est du même ordre que la différence entre essence et existence. Examinons de plus près la nature de cette différence.

Une quiddité ou formalité est passible de certaines modes intrinsèques[2] qui en change la manière d’être, sans en changer la nature, la raison formelle, sans en altérer la définition, si cette quiddité est susceptible de définition. L’essence, par exemple, peut être en puissance objective ou bien exister d’une manière actuelle ; dans les deux cas, elle a la même raison formelle, elle est susceptible de la même définition ; et cependant elle n’a pas, dans les deux cas, la même manière d’être ; l’existence est donc,

1. François de Meyronnes, loc. cit. ; éd. cit., fol. 5o, col. a.

2. François de Meyronnes, quæst. cil., art. II ; éd. cit., fol. 4â, coll. a, b etc.

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