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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Ce que l’intelligence divine donne aux essences[1], ce n’est pas d’être connaissables, c’est d’être connues ; elle ne leur confère pas l’esse intelligibile, mais seulement l’esse intellectum ou cognitum : « Je dis que les essences des choses créables sont, de toute éternité, produites en esse cognitum par l’Intelligence divine, en tant que ces essences ont été connues par l’intelligence divine de toute éternité. En effet, toute chose qui reçoit l’être après le nonêtre semble produite en cet être ; or ces essences, qui ne sont connues qu’après avoir été connaissables reçoivent cet être connu en second lieu après avoir eu, en premier lieu, le non-être connu ; elles sont donc produites en cet être connu. »

François de Meyronnes précise[2], d’ailleurs, ce qu’il entend par cet être connu, car il écrit :

« Tout être de raison provient d’une certaine raison ; on le nomme, en effet, être de raison parce qu’il est fabriqué par la raison. Or l’être connu (esse intellectum) est un être de raison et non point un être réel, car il convient même aux essences qui n’existent pas en la nature ; il faut donc que cet être soit produit par une certaine raison. »

À l’existence essentielle, à l’existence connaissable, à l’existence connue, il faut adjoindre enfin l’existence proprement dite, l’existence actuelle. Celle-là, elle n’est point produite de toute éternité par l’intelligence divine[3] ; elle est purement et simplement produite dans le temps au moment où la chose est créée. Ce que nous avons vu, jusqu’ici, en François de Meyronnes, ce n’est pas le Scotiste ; c’est le très fidèle disciple de cet Henri de Gand qu’il nomme quelque part quidam magnus doctor[4]. N’allons pas croire, cependant, qu’il s’attache servilement aux enseignements de ce maître ; il sait, au besoin, s’en affranchir et même les combattre.

C’est ainsi qu’au sujet de la fameuse question de l’éternité du Monde, il ne suit plus la tradition d’Henri de Gand, mais bien celle de Thomas d’Aquin.

En ses questions sur le second livre des Sentences son attitude critique, à ce sujet, imite celle que Gilles de Rome avait délibérément prise. Sans poser aucune conclusion formelle, il se borne à ruiner un à un tous les arguments qui ont été proposés en vue de résoudre ce problème, d’abord ceux 1 par lesquels les

  1. François de Meyronnes, loc. cit., punctum IIIm ; éd. cit., fol. 260, col. c.
  2. François de Meyronnes, loc. cit., punctum IVm ; éd. cit., fol. 260, col. d.
  3. François de Meyronnes, Op. laud., quæst. XV, pars I ; éd. cit., fol. 260, col. d.
  4. Francisci de Mayronis, Scriptum in secundum Sententiarum, Dist. XLIV, quæst. I ; éd. cit., fol. 159, coll. c et d.