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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

essence créable est, à la fois, en puissance de l’existence et de la non-existence, car elle peut exister ou ne pas exister…

» Seconde conclusion : Cette distinction n’est pas une distinction réelle. Car il n’y a pas de distinction strictement réelle là où il n’y a pas chose et chose ; or, ici, il n’y a pas réalité et réalité ; en effet, si l’essence, considérée à part de l’existence, était une chose, alors, en la pure existence essentielle, il y aurait un certain rapport. Cela se peut encore confirmer de la manière suivante : La puissance divine peut créer le premier terme sans créer le second ; mais aucune essence ne saurait être créée sans existence ; la proposition prise comme hypothèse ne s’entend, d’ailleurs, que de deux termes réellement distincts.

» Troisième conclusion : Cette distinction n’est pas une distinction essentielle, car une telle distinction ne se peut rencontrer qu’entre deux essences ; or l’essence et l’existence ne sont pas deux essences ; chaque essence, en effet, a son existence ; de deux essences se concluraient deux existences.

» Quatrième conclusion : Cette distinction n’est pas une distinction formelle, car l’essence existante ne diffère pas essentiellement de la même essence encore privée de l’existence, comme nous l’avons montré ; et cependant, elle en diffère par l’existence.

» Mais alors survient une difficulté : Quelle est donc cette distinction qui n’est pas fabriquée par l’esprit et qui, cependant, n’est ni réelle ni formelle ? » Henri de Gand eût répondu que c’était une distinction d’intention. François de Meyronnes va répondre par une explication que le Docteur gantois, semble-t-il, n’eût point désavouée :

« Cette distinction est celle qui existe entre une nature (ratio) formelle et un mode intrinsèque à cette nature ; le mode, en effet, c’est ce qui ne change pas la nature formelle ; or être en acte et être en puissance ne diffèrent que comme une manière d’être diffère d’une autre manière d’être.

» Seconde difficulté : Ce mode est-il un accident de l’essence ? Nous répondrons que non. Une substance, en eflfet, préexiste à l’accident qui l’affecte, comme la cause préexiste à son effet ; tandis que l’essence ne peut préexister à l’existence puisque c’est par l’existence qu’elle existe. »

Défenseur de la théorie d’Henri de Gand touchant la distinction de l’essence et de l’existence, François de Meyronnes devait rencontrer bien des contradicteurs, surtout parmi ses frères en Saint François, fidèles aux directions du Docteur Subtil ou de Pierre Auriol. Aussi, en sa seconde discussion quodlibétique, eut-il à