Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
461
L’ESSENTIALISME

Jean de Duns Scot, à Pierre Auriol et à Jean de Bassols ; mais ce dernier lui a presque textuellement fourni les termes dont il use pour l’exposer. Voici comment Meyronnes réfute l’objection qu’on en veut tirer contre sa thèse :

« Cela confirme la proposition que nous avons avancée. Répugnance, en effet, ne signifie pas autre chose qu’incompatibilité ; la non-répugnance, c’est donc la non-incompatibilité ; et comme deux négations valent une affirmation, il faut concéder cette affirmation ; or c’est cette affirmation que nous nommons existence essentielle.

» Mais certains auteurs prétendaient que ces deux négations ne sont que par une opération de notre raison.

» Cela ue se peut soutenir. En effet, si cette non-répugnance ne provenait que de notre raison, la suppression de notre raison aurait pour effet d introduire dans les choses la répugnance, qui est l’opposé de cette non-répugnance ; dès lors, tous les êtres qui étaient susceptibles d’être produits deviendraient, après la suppression de notre raison, des êtres irréalisables. »

« Ces essences[1], prises en leur existence essentielle, ont Dieu pour cause, et à titre de cause formelle, de la même manière que le modèle est regardé comme la cause formelle de la copie ; en Dieu, en effet, les modèles de toutes les choses créables existent de toute éternité… ; et ce sont aussi bien les modèles des choses en puissance que les modèles des choses qui existent en acte. »

« Les essences des choses créables sont, par elles-mêmes, indifférentes à l’existence et à la non-existence[2] ; elles peuvent également exister ou ne pas exister, bien qu’en fait, elles soient affectées de l’un ou de l’autre de ces deux extrêmes, mais d’une manière accidentelle et contingente. »

« Après leur création, ces essences diffèrent-elles de leurs existences respectives[3] ? En réponse à cette question, nous poserons quatre conclusions, dont voici la première :

» Après leur création, les essences sont distinctes de leurs existences respectives, et la distinction qui les sépare n’est pas fabriquée par notre esprit. Toute chose, en effet, qui est également en puissance de deux choses opposées l’une à l’autre ne peut être la même que l’une de ces dernières, car de deux choses opposées, l’une se trouverait être alors en puissance de l’autre. Or toute

  1. François de Meyronnes, loc. cit., art. X ; éd. cit., fol. 242, col. d.
  2. François de Meyronnes, loc. cit., art. XIX ; éd. cit., fol. 244, col. b.
  3. François de Meyronnes, loc. cit., art. XX ; éd. cit., fol. 244, col. c.