Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
460
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Avant d’être créées, les choses ne sont pas de purs néants[1]. « Avant leur création, les essences créables ont une existence essentielle, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de cette existence. Avant leur création, en effet, elles sont des êtres en puissance, et l’essence n’est pas changée par le fait d’être en puissance ou d’être en acte. »

« En cette existence essentielle[2], par laquelle elles préviennent leur propre existence actuelle, les essences créables ne sont pas identiques à l’essence divine ; l’essence divine, en effet, est toujours actuellement existante, car elle est acte pur ; ces essences, au contraire, lorsqu’elles sont en l’existence essentielle, sont abstraites de toute existence actuelle ou, plutôt, sont privées de cette dernière. »

Entre ces essences créables et l’essence divine[3], « il y a distinction tirée de la nature même des choses… Et non seulement, il y a distinction tirée de la nature même des choses, mais il y a distinction formelle… ; non seulement il y a distinction formelle, mais il y a distinction essentielle… Toutefois, il n’y a pas distinction réelle car, là où chacun des deux extrêmes n’est pas une chose (res), il ne peut pas y avoir distinction réelle ; or avant leur création, les essences des êtres créables ne sont pas des choses. »

L’essence d’une créature avant la création, alors qu’elle possède seulement l’existence essentielle, et après la création, alors qu’elle a reçu l’existence actuelle, est une seule et même essence[4] ; « elle est la même non seulement par identité numérique, mais aussi par identité spécifique. »

« Lorsque les essences des choses créables sont en cette existence essentielle[5], ce n’est pas d’une opération de notre raison qu’elles la tiennent ; l’opération de notre raison, en effet, ne précède pas toute création ; or, comme on l’a montré, ces essences possèdent, avant toute création, l’existence essentielle.

» Certains prétendent, cependant, que cette existence essentielle ne désigne rien d’autre que la puissance objective qui réside en cet être possible ; et que cette puissance objective, à son tour, n’est pas autre chose que l’absence de répugnance entre les termes, absence de contradiction qui est nommée puissance logique. »

L’opinion que François de Meyronnes expose ici est commune à

  1. François de Meyronnes, loc. cit., art. II ; éd. cit., fol. 241, col. c.
  2. François de Meyronnes, loc. cit., art. III ; éd. cit., fol. col. d.
  3. François de Meyronnes, loc. cit., art. IV ; éd. cit., fol. 241, col. d, et fol. 242, col. a.
  4. François de Meyronnes, loc. cit., art. V ; éd. cit., fol. 242, col. a.
  5. François de Meyronnes, loc. cit., art. VII ; éd. cit., fol. 242, col. c.