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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

voie démonstrative, tirer des principes de la Philosophie naturelle.

» Cette démonstration-là, dis-je, ou bien se fait en donnant la cause d’où résulte ce qu’on démontre — et une telle démonstration ne peut être donnée du premier Principe, puisqu’il n’a pas de cause — ou bien elle se fait en donnant ce qu’on démontre comme cause d’une conséquence certaine, en démontrant, par exemple, la cause d’un effet qui nous est connu ; [et cette démonstration-là, nous ne pouvons, non plus, l’avoir du premier Principe,] car l’efficacité du premier Principe en l’acte de la création n’est pas connaissable à la Philosophie, mais seulement à la prophétie, comme le dit Saint Grégoire [de Nazianze] en son commentaire sur Ézéchiel.

» La seule efficacité qui nous soit connue, c’est celle qui opère par le mouvement ; or du mouvement nous ne pouvons tirer aucune conclusion, si ce n’est au sujet de la cause motrice.

» Quant à la méthode de réduction à l’absurde, elle ne nous indique pas la cause ; elle nous montre seulement la fausseté du principe admis parle Philosophe. C’est ce que prouve Rabbi Moïse, dans le livre du Guide des égarés, au chapitre de l’unité de Dieu. Le premier Moteur, en effet, ne saurait posséder la nature de Cause première, car celle-ci, comme nous l’avons prouvé ci-dessus, doit être absolument séparée ; le moteur, au contraire, nous l’avons démontré, est entièrement conjoint à son mobile…

» De toutes ces considérations, il résulte évidemment l’impossibilité que le premier Moteur soit la Cause absolument première. »

Ne semble-t-il pas que les hésitations, les fluctuations de Saint Thomas d’Aquin au sujet du premier Moteur céleste, hésitations et fluctuations qu’Ulrich avait éprouvées à son tour, aient enfin abouti à leur conséquence naturelle ? Ne devait-on pas reconnaître enfin que la Cause première telle que la conçoivent chrétiens et néo-platoniciens no saurait être réduite à n’être que ce premier Moteur immobile dont la Physique péripatéticienne prétend démontrer l’existence ? Ne devait-on pas apercevoir enfin l’incapacité de la Métaphysique d’Aristote à supporter la Théologie chrétienne ? N’est-il pas permis de croire que Saint Thomas d’Aquin lui-même, s’il eût vécu davantage, en fut venu à la conclusion que son frère et disciple Ulrich de Strasbourg énonce avec tant de netteté et soutient avec tant de force ?

Pénétrons maintenant dans le détail, et voyons comment Ulrich conçoit les moteurs des cieux.

Ptolémée, plusieurs mathématiciens et Alpetragius ont pré-