Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
459
L’ESSENTIALISME

l’essence sans produire l’existence, car toute chose produite est nécessairenlent existante……

» Cette distinction, toutefois, est tirée de la nature même de la réalité ; en effet, une chose qui se comporte d’une manière indifférente à l’égard de deux autres choses ne peut être absolument indistincte de l’une ou de l’autre de ces dernières ; or l’essence est indifférente à l’être et au non-être.

» À l’appui de cette raison, en voici d’autres. En premier lieu : Lorsqu’une essence est anéantie, parce que l’existence lui est enlevée, cette essence demeure avec la privation opposée à l’existence, c’est-à-dire avec le non-être ; car l’essence peut exister réellement et aussi ne pas exister.

» En second lieu : Ce qui convient à quelque chose non de soi. mais par accident, ne peut être totalement identique à ce quelque chose ; car une chose ne se survient pas accidentellement à elle-même ; or l’existence survient accidentellement à toute nature créée, car elle ne réside pas par elle-même en cette nature. En outre, une chose ne peut être contingente à elle-même ; or c’est d’une manière contingente que toute créature possède l’existence.

» En troisième lieu : Lorsque deux choses sont identiques de toutes manières, ce qu’il est impossible d’associer à l’une ne peut pas être associé à l’autre. Or l’existence actuelle et la puissance objective sont opposées l’une à l’autre…, car la même chose ne peut être à la fois en acte et en puissance. Si donc l’essence et l’existence étaient une même chose, de même que l’existence ne peut demeurer avec la puissance objective, de même en serait-il de l’essence…

» En quatrième lieu :… Comme la créature n’existe pas d’une manière nécessaire, il faut admettre qu’elle n’est pas sa propre existence ; par conséquent, il est nécessaire de marquer une certaine distinction entre l’essence et l’existence de la créature. »

François de Meyronnes conclut donc que l’existence, sans être formellement distincte de l’essence, est un certain mode intrinsèque de cette essence.

Cette doctrine est évidemment inspirée de celle d’Henri de Gand. On en peut dire autant de l’exposé beaucoup plus étendu et systématiquement développé en vingt articles, que François de Meyronnes a donné en une des questions de son Quodlibet[1].

  1. Francisci de Mayronis Qaæstiones quodlibetales ; quæst. VIII : Utrum esse essentiæ. creabilium quidditatum fuerit æternum ? Ed. cit., fol. 241, col. b. à fol. 244, col. c.