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L’ESSENTIALISME

sée à l’existence actuelle ; en un autre sens, il s’entend de la puissance passive, qui est opposée à l’acte reçu… Je dis alors que la matière est un être en acte, et j’entends parler de cet acte qui est opposé à la puissance objective, à la puissance que la création amène à l’acte en la réduisant à l’existence actuelle. Au contraire, si l’on entend le mot acte de l’autre façon, j’accorde que la matière n’a aucune actualité ; de même que l’acte premier a si complètement pour fouction naturelle de conférer la forme qu’il n’a aucune aptitude naturelle à la recevoir, de même en est-il de la matière, mais en ordre inverse. »

« La matière diffère de sa puissance[1], et la distinction entre la matière et sa puissance n’est pas simplement une distinction fabriquée par l’intelligence… C’est une distinction formelle, car on peut connaître l’une sans connaître l’autre… ; mais ce n’est pas une distinction réelle, car elles ne peuvent être séparées » ; l’une d’elles ne saurait exister sans l’autre. Lorsque la forme survient en la matière, « la capacité de recevoir cette forme, c’est-à-dire la puissance subjective, ne disparaît pas ; c’est la privation seule qui disparaît. Lorsque l’homme rit d’une manière actuelle, il ne cesse pas d’être capable de rire. »

« La forme et la matière diffèrent réellement l’une de l’autre[2], car chacune d’elles peut subsister alors que l’autre est détruite. » Que la matière put subsister sans la forme, Henri de Gand, Richard de Middleton, Duns Scot l’avaient soutenu à l’envi ; mais nul, croyons-nous, n’avait encore affirmé que la forme pût subsister sans matière, alors qu’il ne s’agit point d’une forme séparée, mais d’une forme susceptible de s’unir à la matière.

Entre cette forme et cette matière, en même temps qu’une distinction réelle, il y a distinction formelle[3] ; ce sont, selon le langage de notre auteur, des entités précises. Mais alors, comment ces entités précises et formellement distinctes peuvent-elles constituer une substance, un composé doué d’unité ? « Je réponds que si l’on n’admettait pas une troisième entité formellement une, l’unité du composé n’apparaîtrait pas. » Aux deux entités péripatéticiennes, la matière et la forme, François de Meyronnes adjoint donc cette troisième entité, l’entité du composé, que Duns Scot avait considérée le premier, qu’Antonio d’Andrès et Jean de Bassols avaient admise avec une égale faveur.

  1. Francisci de Mayronis Op. laud., lib. II, Dist. XII, quæst. IV ; éd. cit., fol. 148, col. c.
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  3. Francisci de Mayronis quæst. cit., art. IV ; éd. cit., fol. 148, col. a.