Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
445
DUNS SCOT ET LE SCOTISME

Or, à la seconde question, qui est ainsi libellée : « Le ciel est-il composé de matière et de forme », Jean de Jandun donne cette réponse, qui résume exactement la pensée d’Averroès : « Si l’on fait abstraction du moteur, le ciel, qui est la cinquième essence, n’est pas composé de matière et de forme ; c’est un sujet simple, toujours soumis à son moteur ; il a une matière qui est non pas une puissance relative à l’existence, mais une puissance relative au lieu (ubi) »,

Ce sujet simple, Jean de Jandun dit donc, comme Averroès, qu’il est seulement matière, et non pas qu’il est pure forme ; tout, au plus, au commencement du De Substantia orbis, écrit-il ceci : « Le Commentateur, au premier livre Du Ciel et du Monde dit que la manière d’être des éléments est plus voisine de la manière d’être de la matière que de la manière d’être de la forme, tandis qu’il en est au contraire du corps céleste ; sa manière d’être est plus proche de la manière d’être de la forme ; en effet, le ciel ne peut occuper tantôt un volume moindre et tantôt un plus grand volume ; or c’est par leurs formes que les choses sont finies ».

De ceux donc qui veulent mettre une matière en la substance céleste, et la même que celle des corps sublunaires, Jean de Bassols s’écartait encore plus que ne l’avaient fait Averroès et Jean de Jandun. Nul n’était plus opposé à l’opinion de Duns Scot que ce Scotiste.

En tout ce qui concerne la matière, Jean de Bassols s’est écarté à l’extrême des enseignements que lui avait donnés son maître Duns Scot, En d’autres questions, an contraire, il a fidèlement gardé ces enseignements. Ainsi en est-il de la distinction entre l’essence et l’existence. Une discussion minutieuse de la doctrine d’Henri de Gand[1], discussion visiblement inspirée de celle qu’a menée le Docteur Subtil, conduit notre auteur à. cette conclusion[2], que Scot et Auriol eussent également contresignée :

« La créature, avant d’être créée, ne possède aucun être réel et en acte, ni l’existence essentielle (esse essentiae) ni l’existence proprement dite (esse existentiæ). Elle n’a d’autre être que celui que lui confère la science divine. De là je conclus que l’objet

    de strata de Cremooa summa cum diligentia impreassis. Venetiis Anna ab incarnatione domini 1481 undecimo Calendas novembris (Hain, Op. laud., no 5504). Cet ouvrage fut encore imprimé à Vicenne en 1486, puis à Venise en 1488, 1493, 1496, 1501, 1505, 1514 et 1552 (deux éditions différentes),

  1. Joannis de Bassolis Op. laud., lib. II, dist, I, quæst. IV ; fol. XIII, col. b, à fol. XV, col. d.
  2. Jean de Bassols, loc. cit., fol. XV, coll. a et b.