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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

qu’il pût exister deux matières premières distinctes, il faudrait qu il existât deux dieux.

Contre toutes ces affirmations, Jean de Rassois s’inscrit en faux : « Je ne vois, dit-il, aucune contradiction qui empêche Dieu de créer deux matières premières ayant même degré de perfection ou des degrés égaux de perfection… D’ailleurs, comme je l’ai dit au premier livre, il ne me parait pas démontré qu’il ne puisse pas exister deux dieux, ou deux causes premières, finales ou efficientes, à l’égard de l’univers. »

Jean de Bassols ne regarde donc nullement comme établie l’existence d’une matière universelle identique pour toutes les créatures ; il ne croit pas à la materia primo prima considérée par son maître.

Les anges ont-ils une matière, et cette matière est-elle de même nature que celle des substances corporelles[1] ? « Voilà, dit Bassols en concluant son argumentation, les raisons les plus probables ; peut-être ne concluent-elles pas d’une manière nécessaire ; toutefois, conformément à ces raisons, j’admets que les anges n’ont pas une matière de même nature que les choses d’ici-bas,… et qu’ils n’ont pas non plus une matière d’autre nature qui serait une matière spirituelle ».

Enfin, existe-t-il une matière céleste[2] ? « Il ne me paraît pas que, dans le ciel, il y ait une matière.

» Mais comment peut-on, sans matière, sauver les phénomènes célestes ? Je dis que les principaux phénomènes que l’on constate et qui conduisent à attribuer une matière aux cieux sont que le ciel a une grandeur, qu’il est sensible, et qu’il peut se mouvoir vers un lieu (ubi) ou une situation. Mais tout cela peut être sauvé sans matière, car la forme corporelle du ciel, étendue en un certain espace, suffit seule à toutes ces apparences. Je dis donc que la substance du ciel n’est rien qu’une forme ; cette forme est une substance corporelle subsistant par elle-même, qui a des parties les unes hors les autres, qui, par elle-même, s’étend en un certain espace, exactement comme vous le pourriez dire d’une matière. »

Que cette théorie, si voisine de celle qu’Averroès avait professée, soit le corollaire naturel de la Physique péripatéticienne, Duns

1. Joannis de Bassolis Op. laud., Lib. II, Dist. XIV, quæst. I, art. II ; éd. cit., t. 11, fol, LXXXVI1I, et fol. LXXXIX, col. a.

2. Joannis de Bassous Op. laud., Lib. Il, Dist. XIV, quæst. 1, art. IV ; éd. cit., t. I, fol. LXXXIX, coll. c et d, et fol. XC, coll. a, b et c. — Cf. : Lib. II, Diff. III, quæst, U ; éd. cit., I. II, fol. XXXV, coll. a et b.

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