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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

admise. Aristote dit, en effet, au livre De natura deorum que le ciel, les astres et le monde sont venus à l’existence par l’œuvre de Dieu.

» En outre, bien que nous disions du premier Agent qu’il est le premier Moteur, nous n’admettons pas, toutefois, qu’il soit conjoint à son mobile de la façon que prétendent les péripatéticiens ; il l’est seulement à la façon dont Dieu opère dans la nature ; Dieu existe dans l’intimité de la créature bien plutôt que celle-ci n’existe en lui, comme le dit Saint Augustin. »

Ulrich affirme doue nettement que le premier Moteur considéré par le Péripatétisme est identique à la Cause première définie par le Livre des causes et par la Métaphysique d’Avicenne. Mais, en même temps, s’il regarde comme possible d’établir, selon la méthode péripatéticienne, l’existence de cet être considéré comme premier Moteur, il reconnaît qu’on ne peut ni démontrer l’existence de la première Cause efficiente ni prouver par raisonnement convaincant qu’elle est identique au premier Moteur ; c’est là une conclusion qui peut seulement, par voie conjecturale, être rendue probable. En outre, sa foi chrétienne refuse d’accorder au Péripatétisme l’opinion qu’il professe touchant la conjonction du premier Moteur avec son mobile.

Ces réserves, que le Docteur dominicain avait marquées avec grand soin au cours de la rédaction du second livre de son grand traité, la réflexion, sans doute, lui a fait reconnaître qu’elles n otaient pas encore suffisantes. Aussi, lorsqu’il en vient à rédiger son troisième livre, leur donne-t-il une tout autre portée. Il reconnaît que la démonstration péripatéticienne prouve l’existence d’un premier Moteur immobile ; mais il nie absolument que le premier Moteur que nous révèle ce raisonnement soit la première Cause efficiente, soit Dieu, il n y voit plus qu une intelligence inférieure à Dieu. De plus, ces intelligences sont multiples, elles sont en même nombre que les orbes célestes ; la foi ne nous permet pas d’y voir autre chose que des Anges. Telle est la doctrine qu’avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté va développer le Péripatétisme mieux informé d’Ulrich.

« À la première intelligence, dit-il[1], le Philosophe donne le

  1. Ulrici de Argentina Op. laud., Tractatus 3us IVi libri de substanciis spiritualibus sive de angelis secundum triplicem ipsorum condicionem, scilicet secundurn naturam et secundum quod sunt motores orbium et secundum quod sunt ministlri gracie. Capitulum primum quod primus motor non sit causa prima, et quod motores orbium sunt intelligencie et quod ipsi sunt angeli qui inquanturn motores sunt vocantur anima (sic) nobilis (sic) et de anima nobili sic sumpta. Ms. cit., fol. 297, coll. b, c et d.