Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

» Or cette chose qui est cause de l’être ne peut causer l’existence par le mouvement ; sinon le mouvement qui, dans l’ordre de la nature, vient après l’existence du mobile, serait cause de cette existence qui lui est antérieure. En outre, ce qui ne présuppose rien, savoir l’existence, qui est seulement produite par création, comme le dit le Livre des causes, présupposerait quelque chose, savoir un moteur et un mobile. Ainsi donc, outre le premier moteur, il faut une cause qui agisse sans mouvement.

» Bien que le premier moteur et le premier agent diffèrent l’un de l’autre pour la raison, bien que l’un d’eux soit antérieur à l’autre selon l’ordre de nature, toutefois, en réalité, l’un et l’autre sont nécessairement une seule et même première cause. Le premier agent, en effet, est nécessairement l’acte pur et premier qui précède toute puissance ; or il faut aussi que le premier moteur soit un tel acte, comme le prouve le Philosophe au XIe livre de la Métaphysique. Le premier agent et le premier moteur sont donc, en réalité, un être unique.

» Partant, ce qui a été démontré ci-dessus du premier Moteur est également démontré du premier Agent ou première Cause efficiente. Toutefois, nous en avons démontré l’existence en tant qu’il est moteur plutôt que de la démontrer en tant qu’il est agent, afin de mettre en première ligne la démonstration qui nous contraint de parvenir à la Cause, en partant des effets de cette cause, c’est-à-dire de principes naturels.

» En tant qu’agent, il est, comme le dit Avicenne, hors du nombre des principes naturels ; on ne peut donc, par la raison naturelle, prouver d’une manière suffisante sa manière d’agir en tant que cause efficiente ; cette manière d’agir s’exerce sans mouvement ni changement, par simple diffusion de sa lumière formelle ; elle ne peut donc se prouver suffisamment par ses effets ; toutefois, en raisonnant des choses divines par voie d’éminence, nous pouvons, à ce sujet, atteindre quelque croyance probable.

» Voilà pourquoi les péripatéticiens, à qui nous avons emprunté la démonstration précédente, lorsqu’ils parlent en philosophes, disent qu’il n’y a pas d’autre cause première que le premier moteur ; ils ne disent jamais qu’elle cause quoi que ce soit sans mouvement ; c’est dans cette hypothèse qu’ils prouvent l’éternité du monde, comme on le voit au VIIIe livre de la Physique.

» Mais lorsqu’ils parlent des choses divines d’une manière conjecturale, selon ce que la raison en peut déterminer avec probabilité, alors, ils admettent fort bien une cause efficiente qui agit sans mouvement, tout comme les platoniciens l’avaient