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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

toutes choses ; il est cause du mouvement d’une seule chose, de celle qui est mue et ne meut point… Cela donc qui est simplement moteur, c’est un premier moteur qui, par son essence, demeure absolument immobile, aussi bien de soi que par accident. Cet être, c’est le principe de toutes choses qui, tout en demeurant immuable, produit tout mouvement ; c’est lui que nous nommons Dieu.

» Or, dans l’Univers, le premier moteur est la première cause efficiente ; c’est, à cette cause première que toutes les causes secondes doivent d’exister et d’être causes ; il en résulte nécessairement que toutes les choses qui se meuvent tiennent de cette cause première leur existence et leur mouvement. »

Par cette démonstration, Dieu apparaît comme le premier moteur immobile, ce qui est exactement péripatéticien. En outre, Ulrich affirme que ce premier moteur est unique, ce qui n’est plus conforme à la doctrine d’Aristote. De la cause du mouvement des choses, il ne veut pas distinguer la cause qui donne l’existence à ces mêmes choses ; c’est rejeter la doctrine d’Avicenne.

Le Dominicain Strasbourgeois va, d’ailleurs, prendre soin de se séparer d’une manière encore plus formelle de l’enseignement du néoplatonisme arabe. Ce qu’il dit à ce sujet[1] mérite d’être rapporté in extenso :

« Pour bien comprendre ce qui a été dit en dernier lieu, sachez qu’il y a une différence, selon les philosophes, entre le premier moteur et le premier agent ou première cause efficiente.

» Le premier moteur c’est cet être qui, conjoint à son mobile, produit par son mouvement tout ce dont il est cause. Au contraire, le premier agent ou première cause efficiente, c’est l’être qui cause tous ses effets sans aucun mouvement ni changement, par simple diffusion de son actualité ou de sa perfection. En effet, avant l’être du mobile, en tant que mobile, et avant l’être du moteur, en tant que moteur, il y a l’être pur et simple (simplex esse). Cet être, c’est une nature à laquelle beaucoup de choses prennent part, suivant une unité d’analogie, et non pas d’une façon simplement équivoque ; partant, en vertu d’une raison précédemment énoncée, il faut que cette nature réside en une première chose, et qu’elle soit causée par cette chose en toutes les autres choses qui participent de cette nature.

  1. Ulrici de Argentina Op. laud., lib. II, tract. II, cap. II : De exclusione erroris circa prædicta. Ms. cit,, fol. 20, Coll. b et c.