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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

doivent pas émouvoir, car en cette question, ils parlaient en philosophes ou bien en hommes qui suivent l’opinion d’autrui, bien plutôt qu’ils ne traitaient ce sujet en docteurs de la foi ».

Peut-être les contemporains de Pierre Auriol ne se fussent-ils pas tous montrés d une égale assurance touchant l’orthodoxie de son système ; peut-être lui eussent-ils reproché d’admettre cet article[1], condamné par Étienne Tempier : «La cause efficiente immédiate de toutes les formes est l’orbe céleste ». L’Archevêque d’Aix eût, il est vrai, répondu qu’il avait admis une exception en faveur de l’Ame rationnelle de l’homme. Il eût également fait observer qu’il s’était également gardé de la condamnation portée contre cet autre article[2] : Quod si in aliquo humore virtute stellarum deveniretur ad talem proportionem, cujusmodi proportio est in seminibus parentum, ex illo humore posset generari homo ; et sic homo posset sufficienter generari ex putrefactione.

Si continuellement Pierre Auriol s’attache à se montrer fidèle péripatéticien que nous sommes étonnés de lui voir abandonner, en une circonstance, la voie d’Aristote et du Commentateur pour suivre celle qu’adoptait habituellement l’ordre des frères mineurs ; avec tous les Franciscains, en effet, il admet que les substances séparées sont composées de forme et de matière.

Cette opinion, d’ailleurs, il l’adopte sans grande conviction ; voici, en effet, en quels termes il l’exprime[3] :

« En cette question, je l’ai dit, l’intention des philosophes n’est pas expressément formulée ; aussi ne vois-je pas grande force d’un côté ni de l’autre ; d’autre part les philosophes et les saints qui se sont enquis avec le plus de soin de la nature de ces substances ont entendu d’une manière expresse qu’elles fussent composées de matière et de forme ; je tiens donc pour leur parti, bien qu’au premier abord, il paraisse dissonant et qu’il fasse horreur à l’imagination, en raison de ces trois dimensions qui, pour notre intelligence, accompagnent toujours la matière, et dont les substances de ce genre sont cependant séparées.

» Mais nous concevons qu’elles soient composées de matière et de forme comme le Commentateur le comprend ; elles sont composées d’une certaine nature qui est purement en puissance et d’une

  1. Le 106e du décret d’Étienne Tempier ; le 81e de la liste classée par le R. P. Maudonnet.
  2. Le 188e du décret d’Étienne Tempier ; ie 82e de la liste classée par le R. P. Mandonnet.
  3. Petri Aureoli Commentarii in secundum librum Sententiarum, Dist. 111, quæst. I, art. III : Utrum substantiæ separatæ sint compositæ ex materia et forma. P. 59, col. a.