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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

de démontrer l’existence de Dieu, de stabiliendo esse divino, en considérant Dieu comme premier moteur.

« Nous allons, dit Ulrich, prouver par démonstration que Dieu est et qu’il est unique ; ce sera une démonstration tirée de l’effet ; bien qu’une telle démonstration ne fasse pas connaître le pourquoi (propter quid) elle fait connaître ce qui est (quia).

» Nous disons donc que tout ce qui est mû, soit qu’une fois mû, il meuve autre chose, soit qu’il ne meuve absolument rien se ramène à une cause, à un premier être qui se meut lui-même »…

Ulrich suppose que l’on remonte la série des moteurs qui sont mus ; cette série, on ne la peut poursuivre à l’infini. « Il faut donc que le mouvement de cet être qui est le premier dans la série des moteurs qui sont mus, se réduise à un autre moteur qui le précède à la façon dont le simple précède le composé. Or pour précéder une chose qui est la première en son genre, il la faut précéder en étant hors de ce genre. Il doit donc exister un moteur premièrement premier (primo primas) qui soit hors du genre des moteurs qui meuvent parce qu’ils sont mus. Ce moteur-là est nécessairement immobile ; il n’est pas mû par lui-même, sinon il ne serait pas hors du genre dont il s’agit : il n’est pas non plus mû par accident ; en effet, comme tout ce qui a lieu par accident se ramène à ce qui a lieu de soi, il faudrait qu’avant ce premier moteur, il y en eût un autre plus premier qui en causerait le mouvement.

» En outre, il faut que ce moteur soit unique. Son mobile, en effet, est mû d’un seul mouvement perpétuel et toujours de même sens ; or un mouvement unique provient nécessairement d’un moteur unique ; ce moteur sera donc unique.

» De tout cela, il résulte que, dans l’ordre du mouvement universel, il faut qu’il existe trois sortes de choses : En premier lieu, ce qui est seulement mû et ne meut point. En second lieu, ce qui meut seulement et n’est point mû. En troisième lieu, ce (pii meut en étant mû par un autre moteur…

» Mais toute nature à laquelle plusieurs êtres ont part d’une manière univoque réside nécessairement et essentiellement en un être qui est le premier de ce genre et par lequel elle est causée dans tous les autres…

» Il faut donc qu’il y ait un premier être qui soit cause du mouvement dans tous les autres. Or ce premier moteur ne peut être ce qui est simplement mû et ne meut point, car la cause du mouvement meut ; ce n’est pas non plus l’intermédiaire qui meut en étant mû ; celui-ci, en effet, n’est pas cause du mouvement de