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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

effet, dans l’ordre même des créatures que se doit nécessairement rencontrer 1’opposé de la matière première. Et toutefois cette forme, [qui sera l’opposé de la matière première], ne sera pas acte pur ; tout acte ne se trouvera pas en elle d’une manière subsistante et éminente. La matière, en effet, n’est pas en puissance de tous les actes ; il y a une foule de formes séparées qui ne sauraient être des actes, des perfections de la matière. Par conséquent, bien que la matière soit privée de tout acte, elle n’est pas en puissance de tous les actes sans exception,

» Partant, dans l’ordre de la nature, il y aura quelque chose qui correspondra à la matière première et cette chose sera exempte de toute puissance passive. Ce quelque chose, cc sera le corps du ciel ; ce corps ne sera aucunement en puissance, si ce n’est à occuper un certain lieu (ad ubi') ; d’une certaine façon, il sera, en acte, toutes les formes dont la matière première est en puissance.

» Quant à Dieu, il se tiendra à un rang plus élevé ; il sera en dehors de l’ordre de la matière ; il sera l’acte universel ; en lui, toute entité subsistera d une manière éminente. »

D’après ces considérations, le corps du ciel, qui est, en la nature, l’opposé de la matière première, qui est, en acte, tout ce que celle-ci est en puissance, ne saurait avoir lui-même une matière.

D’autres considérations conduisent à la même conclusion.

Auriol nous a avertis que la matière première n’était pas en puissance de toutes les formes ; il y a une multitude de formes dont, la nature est de subsister séparées de toute matière ; la matière n’est pas en puissance de ces formes-là. On peut donc se proposer d’énumérer les formes dont la matière première est capable.

« La matière première[1] est seulement en puissance des formes suivantes : Des formes simples, puis des formes moyennes ou mixtes, puis des formes qui résultent elles-mêmes des diverses mixtions à titre de conséquences nécessaires et intrinsèques ; telles sont les âmes.

» Mais ce qu’elle reçoit tout d’abord, ce sont quatre formes simples et élémentaires ; ces formes ne peuvent être qu’au nombre de quatre ; deux d’entre elles sont opposées l’une à l’autre ; ce sont la légèreté absolue et la gravité absolue ; les deux autres sont intermédiaires à celles-là ; ce sont la légèreté relative (telle

  1. Pierre Auriol, loc. cit., p. 978, col, 2, et p, 979, col. I.