Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/415

Cette page n’a pas encore été corrigée
405
DUNS SCOT ET LE SCOTISME

Cette doctrine, Pierre Auriol la regarde, et cela, semble-t-il, à juste titre, comme la doctrine même d’Aristote et d’Averroès.

« La puissance de la matière, écrit-il[1], est ainsi nommée parce quelle est coordonnée à l’acte qui est la forme ; cet acte, d’ailleurs, c’est purement et simplement la perfection et la formation de la matière. La forme, donc, n’est pas une chose qui existe par soi, d’une manière solitaire et séparée ; elle est seulement ce qui complète une chose, ce qui met cette chose en acte. C’est la même chose, en effet, qui reçoit parla forme sa perfection et son actualité et qui tient son germe et son principe de la matière. D’après cela, tirer une forme de la puissance de la matière, ce n est pas autre chose qu’amener la matière elle-même à ce qui en est l’achèvement, l’actualité et la perfection. C’est ce que crie toute la philosophie d’Aristote et de son commentateur à l’encontre des fantaisies des autres philosophes ; ceux-ci supposent (|ue les formes sont en la matière comme des choses qui lui seraient étrangères ; aujourd’hui, cette imagination a fini par prévaloir contre les raisonnements démonstratifs auxquels se sont appuyés le Philosophe et le Commentateur, ainsi qu’il apparaîtra plus clairement au second livre.

» Il ne faut donc pas s’imaginer que l’agent tire la forme soit des fins de la matière, soit de ce rapport que ces philosophes appellent puissance de la matière, soit de l’essence de la matière, soit de quelque autre chose. On s’exprime, par conséquent, d’une manière impropre lorsqu’on dit que la forme est tirée de la puissance de la matière ; il vaut mieux s’exprimer comme le Commentateur au XIIe livre de la Métaphysique et dire que c’est la matière qui est amenée à la forme ; en sorte que l’agent n’extrait pas la forme des fins de la matière, mais qu’il tire la matière pour l’amener à l’acte. L’agent, en effet, ne fabrique pas la forme ; mais, bien plutôt, il forme la matière, il la complète, il la met en acte, il la tire vers la formation. Celui qui fait une houle de cire ne fait pas la rotondité comme si cette rotondité était une chose qui aurait par elle-même son unité ; il amène la cire à être ronde (trahit ceram ad rotundationem}. »

« Afin de résoudre cette objection : La forme est donc créée en la matière, des anciens, écrit encore Auriol[2], ont admis qu’une certaine partie, encore imparfaite, de la forme, préexistait en la

1. Pétri Aureou Commentarii in primam librtim Sententiarum ; Dîst. XLI1, Pars I, art. III, p. 977, col. a.

2. Pétri Aureqli Commentarii in secuntlum librum Setitentiaram, Dist. XII, quæst. II, art. I ; p. 177, coll, a et b.

  1. 1
  2. 2