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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

« La nature de la matière, dit encore Auriol[1], c’est la nature d’une pure puissance fondamentale, privée de tout acte et de toute distinction. Cependant, elle est e-i puissance de recevoir tout acte et toute distinction ; de telle sorte que sa nature est la puissance pure et simple (simpliciter posse), qui n’implique absolument rien de l’actualité... Dans les êtres, là matière n’est rien de distinct : elle est purement et simplement ce qui est susceptible tic devenir distinct (purum distinguibile)... Ce n’est pas mie certaine nature (ratio) qui, d’une manière actuelle, soit distincte dans les êtres ; c’est une pure puissance (purum posse), une nature qui est en puissance d’être mise en acte (potens actuari)...

» La matière, en sa nature (ratio) même, et d’une manière intrinsèque est une entité incomplète... Pour rendre cette proposition évidente, il faut remarquer qu’incomplet se prend de deux façons ; d’une façon, incomplet signifie à un faible degré, à un degré diminué ; ... d’une autre façon, incomplet désigne le germe (inchoativum) d’une certaine nature (ratio) complète, quelque chose qui est privé de nature (ratio), qui, en soi-même, ne présente pas une nature (natura) propre et déterminée, mais qui est le germe d’une nature déterminée ; de cette façon, incomplet a meme sens qu’inachevé, tronqué. C’est dans ce second sens et non dans le premier que j’entends ces mots : Être incomplet...

» La matière est donc un être incomplet, parce que tronqué, diminué, parce que germe de toute entité qui peut s’engendrer et périr ; la forme, au contraire, exprime le complément, la perfection. Ainsi de la matière et de la forme est faite une chose complète et achevée ; cette chose est faite de son germe et de son achèvement. »

De la forme, d’ailleurs, voici la description[2] : « La forme exprime une pure mise en acte de la matière ; elle ne désigne pas une certaine chose (res) déterminée d une manière actuelle.

» Voici donc ce que j’imagine : Toute entité soumise à la génération et à la destruction est une entité qui a, en elle-même, deux réalités (realitates) ; ni l’une ni l’autre de ces réalités ne désigne une nature (ratio) déterminée d’une manière actuelle ; toutes deux sont les réalités imprécises d’une meme nature (ratio) déterminée, et. c’est pourquoi elles sont aptes à faire une nature déterminée.

» J’imagine donc la première réalité, qui est tout ce qui est jsoumis à la génération et a la destruction, mais un puissance et

1. Pierre Auriol, quæst. cil., art. VII {marqué art. VI), p. 172, coli. a et b.

2. Pétri Aureoli Commentarii in secundum librum Senlenliarum, Dist. XII, quæst. Il, art. 1, [>. col. b, et p. 17^, col. a.

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