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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

» La seconde proposition formule ceci : Le mot forme, lui non plus, n’est ni une entité déterminée, ni une certaine chose déterminée d’une manière actuelle. Ces deux réalités, » — et, ici Auriol, comme Duns Scot, oppose realitates à res, — « ces deux réalités, la matière et la forme, font partie d’une certaine nature bien déterminée ; en sorte que la matière est une sorte de germe (inchoativum) de l’être composé et que la forme est une certaine raison complémentaire, un certain achèvement de ce germe : de ces deux réalités, le germe et l’achèvement du germe, résulte l’entité du composé.

» Voici la troisième proposition : La matière et la forme ne peuvent pas être nommées deux quelque choses, mais deux parties de quelque chose. Materia et forma non possunt dici duo quid, vel duo aliquid, vel duo hec, sed dicuntur duo hujus. »

On ne saurait concevoir enseignement plus contraire à celui de Duns Scot ; lorsqu’à deux realilates, à deux formalités dont les notions sont distinctes en l’entendement, mais qui ne se distinguent pas en la nature des choses, il voulait opposer deux choses (res) distinctes l’une de l’autre non plus formellement, mais réellement et hors de l’entendement, le Docteur Subtil prenait précisément pour exemples la matière et la forme, qui étaient, à son gré, deux entités déterminées. Au gré d’Auriol, la matière et la forme sont simplement deux realilates, c’est-à-dire deux notions, deux concepts que la raison distingue en une seule entité déterminée qui est celle du composé.

Que ce soit bien là la pensée d’Auriol, nous en aurons l’absolue conviction en lisant, par l’intermédiaire de Jean le Chanoine, la démonstration dont il étaye sa thèse.

« Ce qui n’a d’autre rôle que de pouvoir être soumis à une distinction n’est pas une chose que l’on puisse désigner (adiquid hoc). non plus que ce qui a pour seul rôle d’opérer la distinction : ni l’un ni l’autre ne désigne quelque entité déterminée qui existe à part (præcisam) ou qui puisse être prise séparément (præcisibilem). Or la matière et la forme sont de cette sorte. Donc etc. La majeure est évidente, car tout ce qui exprime une entité déterminée, tout ce qui est une chose que l’on puisse désigner, exprime une entité constituée par un sujet soumis à la distinction et un principe qui opère la distinction. » Or la matière est seulement le sujet susceptible de distinction et la forme est seulement le principe qui opère la distinction.

Mais Jean le Chanoine a-t-il fidèlement interprété la pensée de