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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

n’est pas première, et elle n’est pas, non plus, fondée sur l’unité singulière, car il répugne à celle-ci d’être conçue d’une manière universelle. Il faut donc qu’il y ait, dans la chose réelle, une unité différente de celle qui est appelée singulière ; c’est l’unité d’une certaine indifférence… Cette unité, on la nomme unité d’indifférence, parce qu’elle peut, dans le concept, être universelle et qu’elle peut aussi, hors de l’intelligence, être telle unité singulière. Mais ni l’un ni l’autre de ces caractères, elle ne les tient de sa propre uature ; l’universalité, elle la tient d’un acte de notre intelligence ; si elle est telle unité singulière, elle le tient de la différence individuelle qui la fait être telle chose. »

« Cette opinion, dit Auriol, est fort belle et subtile… Il me semble, toutefois, qu’elle n’est raisonnable d’aucune manière. Aussi poserai-je contre elle, à titre de conclusion, une première proposition qui est la suivante :

« L’unité spécifique n’est pas l’unité d’une chose indifférente qui serait hors de l’esprit ; elle n’est pas indifférente hors de l’esprit. Bien plus, toute chose réelle qui a son siège hors de l’esprit est déterminée à la particularité. »

« Si donc vous me demandez[1] : Cette unité spécifique de Elle réside dans l’humanité… en tant que celle-ci est conçue ; et de cette façon, elle n’est pas autre chose que le concept objectif[2] de l’homme. Mais cette unité, elle se trouve aussi dans la chose réelle et extérieure à l’esprit ; elle s’y trouve en puissance et à l’état de germe (inchoative), en tant que cette chose est naturellement apte à causer dans l’esprit une impression parfaitement semblable à celle que cause une autre chose ; de là, en effet, résulte l’unité de l’acte intellectuel et, par conséquent, l’unité d’un même concept objectif[3]. »

De toutes manières, donc, nous sommes ramenés à ce principe : Toute chose qui existe hors de l’esprit est, par elle-même, une chose singulière, en sorte que demander à quel principe elle doit son individuation, c’est poser une question qui n’a pas de sens.

Mais, étant donné que l’unité spécifique est un concept de notre esprit, ne pourra-t-on, du moins, demander ce qui, en notre raison, s’ajoute à ce concept pour lui conférer l’unité individuelle, pour en faire le concept d’une chose singulière ; abandonné au point de vue réel, le problème du principe d’individuation se trou-

1. Pierre Auriol, quæst. cit., art. III, p. 109, col. b.

2. Dans le sens où nous dirions aujourd’hui : subjectif.

3. Dans le sens où nous dirions : subjectif.

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