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L’ESSENCE RAMENÉE À L’EXISTENCE

les designer ; on ne peut les admettre sans admettre un même nombre d’essences et, partant, de choses réelles. Quand des choses sont absolument identiques entre elles, lorsqu’on multiplie l’une d’elles, on multiplie nécessairement les autres… Or ces quatre choses sont identiques : Quelque chose (aliquid), chose réelle (res), être (gens), essence (essentia)…

Si donc ces quiddités, ces modes naturels, ces raisons formelles sont quelque chose hors de notre esprit, comme l’admettent certaines personnes, il est nécessaire qu’elles soient certaines choses réelles (res), certaines essences et certains êtres (entitates) ; si l’on admet qu’il y en a plusieurs, il faudra qu’il y ait aussi plusieurs choses (plura aliqua) et plusieurs essences. Mais les tenants de cette opinion posaient simplement une chose réelle (res). 11 faudra donc qu’une seule chose réelle soit plusieurs choses réelles, ce qu’il est impossible d’admettre. Mettre donc, dans une même chose réelle, plusieurs raisons quidditatives, c’est y mettre, en quelque sorte, plusieurs essences…

» Il reste donc qu’il est impossible d’admettre, en une même chose réelle (re), plusieurs modes réels ou plusieurs raisons quidditatives et formelles, sans y admettre, d’une manière nécessaire, plusieurs essences et, partant, plusieurs choses réelles (res) distinctes les unes des autres. »

Que sont donc, en vérité, ces modes, formalités et quiddités î Des distinctions de raison, qui n’existent pas hors de l’esprit.

« D’une même chose simple 1 se forment plusieurs concepts qui ont pour terme une seule et même chose réelle ; mais comme les conceptions formelles qui existent dans l’intelligence sont multiples, de même cette chose, en la possibilité d’être conçue qui réside en elle, apparaît multiple ; mais cette pluralité n’est pas dans la chose existante ; elle est dans la chose courue ou dans l’acte par laquelle nous la concevons. De même, une chandelle nous paraît double si, avec le doigt, nous soulevons l’un des deux, yeux, parce qu’il se fait deux visions différentes. »

Ce n’est pas la véritable pensée de Dans Scot, mais c’est le Scotisme que ces passages repoussent de la manière la plus rigoureuse et la plus claire.

Cette netteté dans la pensée, nous la retrouvons en ce que notre auteur enseigne au sujet du principe d’individuation. Son enseignement à ce sujet, peut-on dire, tient, à la fois, de celui d’Henri de Gand et, surtout, de celui de Roger Bacon. À son avis, nous

1. PttiiHE Auniot, loc. cil., p. 6, col. b.