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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

somme vaut deux droits, ne considère aucunement si le triangle est en acte ou en puissance ; bien plus, c’est en faisant entière abstraction de ces deux manières d’être qu’il conclut que cette propriété est inhérente au triangle. Il n’est donc pas vrai que ce soit l’existence en puissance qui rend les choses connaissables, qui en fasse des objets de science ».

Cela ferme l’échappatoire par laquelle Godefroid de Fontaines et, surtout Gilles de Rome avaient voulu éviter les conclusions de Siger de Brabant et de Roger Bacon ; mais cela montre, en même temps, que ces conclusions découlaient d’une fausse idée de la science.

En cette doctrine, qu’Auriol développe avec beaucoup de détails, nous reconnaissons la pensée du Docteur Subtil, mise sous une forme plus aisée, écrite en un latin qui se garde mieux des néologismes barbares.

Cette clarté et cette simplicité sont qualités que Ion doit accorder à Auriol, encore que l’on puisse, par compensation, lui reprocher un discours quelque peu prolixe.

La clarté qui caractérise l’exposition d’Auriol la mettra à l’abri des inconvénients où une trop grande obscurité a, parfois, entraîné renseignement de Duns Scot. Dans les nombreuses quiddités et formalités que le Docteur Subtil a été amené a distinguer, il ne voyait très certainement que les résultats d’une analyse logique ; mais trompés par un style qui n’est pas assez explicite, ses disciples ont cru que ces formalités n’existaient pas seulement dans notre raison, qu’elles étaient à quelque degré dans les choses.

Avec Pierre Auriol, semblable confusion ne sera pas à craindre.

En un de ses quolibets[1], il revient sur la distinction entre l’essence et l’existence. Cette distinction, il continue de la nier avec la dernière rigueur ; il fait sienne[2] cette proposition du Commentateur : Celui qui nie l’identité entre un être et son essence, nie une vérité évidente par elle-même, et il n’y a pas moyen de discuter avec lui. Mais une fois admise cette identité de l’essence avec la chose qui existe réellement, voici la conséquence qu’en tire notre auteur[3] :

« Dans une même chose absolument simple, il est impossible et contradictoire qu’il y ait plusieurs modes réels, raisons réelles, intentions, formalités, ou quiddités, de quelque nom qu’on veuille

1. Petri Aureoli Quodiibeta ; Quodlibetum I : Utrum în aliqua re îornialitas et reaJitas distin^oantur.

2. Pierre Auriol, loc. cit., p. 4, col. a.

3. Pierre Auriol, loc. ciZ, p. 3, colL b, et p. 4i c°l- a b*

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